Coopérer pour transformer son environnement grâce à un projet de végétalisation de cours d'école
Nous sommes à Chevroux, petit village de l'Ain comptant 1000 habitants et son école primaire de 5 classes (2 maternelles, 3 élémentaires). En juin 2022, se tient le dernier conseil d'école de l'année. Après avoir épuisé l’ordre du jour, en l’absence de questions transmises, je m'apprêtais à clore la réunion lorsque la présidente de la cantine, également parent d'élève, prend la parole :
« Est-ce qu’il serait possible d’envisager mettre des arbres en élémentaire dans la cour de l’école ? Avec ces chaleurs, les enfants n’ont pas d’ombre et…. »
« C’est non. »
Monsieur le Maire venait de répondre quelque peu sèchement à cette question d’une manière qui n’était pas habituelle dans nos échanges. Un silence s’était installé ; je le laissais se prolonger en me tournant vers l’adjointe aux affaires scolaires et les autres parents élus.
« Dominique, attends, peut-être que nous pourrions quand même au moins en parler …. »
La démarche du projet
La végétalisation des cours d’école s’inscrit dans une longue tradition pédagogique qui reconnaît le rôle formateur du rapport à la nature. Dès le XVIIIème siècle, Rousseau affirmait l’importance d’une éducation ancrée dans l’expérience sensible et en contact avec le milieu naturel. Cette idée a été reprise et enrichie au XIXème siècle par des pédagogues de l'Éducation nouvelle comme Johann Heinrich Pestalozzi puis au XXème par Ovide Decroly ou Célestin Freinet, pour qui : « l’enfant apprend en transformant son environnement » (Freinet, 1964).
Plus récemment, les crises écologiques et climatiques, la perte de biodiversité, les préoccupations liées à la santé mentale et au bien-être des élèves ont poussé collectivités et institutions scolaires à repenser les espaces extérieurs des écoles. Ces préoccupations ont été renforcées par la crise du COVID-19, qui a rappelé le besoin vital de nature, de mouvement et de temps de respiration, y compris dans le quotidien scolaire.
Chronologie du projet
De l'obstacle à l'engagement partagé
Le point de départ du projet a été un obstacle bien concret, à l’origine des réticences du Maire : la présence, sous l’enrobé bitumineux de la cour, de gravats enfouis lors des derniers travaux de rénovation. Cette contrainte technique majeure représentait un frein évident à toute idée de végétalisation. Le Maire, conscient de l’ampleur du chantier nécessaire – désenfouir, évacuer les déblais, importer de la terre végétale – s’est montré dans un premier temps réservé. Pour lui, ce n’était pas seulement une question de principe, mais bien de faisabilité : cela impliquait des moyens humains, logistiques et financiers qu’il jugeait difficiles à mobiliser dans l’immédiat.
Et pourtant, cette difficulté a été le déclencheur d’une dynamique collective. Car au fil de ses échanges avec les enseignants, les parents d’élèves et les conseillers municipaux, le Maire a évolué dans sa position. Progressivement convaincu de la portée éducative, sociale et écologique d’un tel projet, il s’est non seulement rallié à l’idée, mais il en est devenu l’un des principaux acteurs. C’est lui qui a piloté les démarches administratives, pris contact avec les entreprises de terrassement et la pépinière locale et coordonné les demandes de financement, notamment auprès de l'État (DETR), de l’Agence de l’eau et du département.
Une fois ce premier blocage levé, les bases du projet collectif ont pu être établies : un premier noyau de réflexion s’est formé autour des élus, des enseignants et des parents dans une phase encore préliminaire, volontairement sans implication directe des élèves afin de ne pas susciter chez eux des attentes irréalistes.
Dans ce contexte rural, où la proximité des acteurs facilite la circulation des idées et l’engagement, cette phase a été décisive. Elle illustre la force des petites structures, « véritables écosystèmes éducatifs » (Collot, 2003) : quand les rôles sont reconnus, quand chacun peut s’engager à son niveau, alors les obstacles peuvent devenir des moteurs de coopération.
Constitution d’une équipe de travail inter-acteurs
Une fois les premiers obstacles levés, une équipe a été constituée, réunissant enseignants, parents d’élèves, élus municipaux et professionnels (terrassement, pépiniériste). Ce collectif a travaillé à déterminer les objectifs pédagogiques et environnementaux du projet, à faire émerger des solutions compatibles avec les contraintes financières et avec les réalités techniques, notamment l’impossibilité de débitumer certaines zones en raison de réseaux souterrains.
Les fondements du projet ont ainsi été posés collectivement (s’entendre sur les finalités, la cohérence et les intentions pédagogiques sont des conditions de la synergie collective - cadre théorique du groupe Cooper@ction) : créer un environnement plus végétalisé, à la fois propice à la biodiversité et porteur de sens pour les enfants. Les objectifs environnementaux étaient de réduire les îlots de chaleur, d’améliorer le confort thermique en apportant de la fraîcheur par la plantation de végétaux, de rendre les sols à nouveau perméables (et récupérer les eaux de pluie) pour créer un sol vivant pour les plantations. Sur le plan éducatif, nous voulions diversifier les usages pour agir sur le climat scolaire en rendant la cour plus agréable, avec des aménagements répondant aux intérêts et aux besoins des enfants : « l’appropriation symbolique et physique des lieux par les élèves est un levier puissant d’apaisement des relations » (Debarbieux, 2012).
Imaginer le nouvel environnement
Ce n’est qu’après avoir posé ces bases que les élèves ont été pleinement associés à la démarche. En classe, les enseignants ont organisé des temps de réflexion, de débats et de projections autour des usages de la cour. Avec l’aide d’outils simples – cartes de la cour, questionnaires, discussions par petits groupes – les enfants ont pu exprimer leurs ressentis quant à ce qu’ils faisaient déjà et aimeraient faire dans une nouvelle cour d’école. Où aiment-ils aller ? Pour y faire quoi ? Que manque-t-il ? Ces échanges ont mis en évidence des intérêts à partir desquels nous avons pu dégager cinq fonctions correspondant à différents besoins à attribuer aux nouveaux espaces :
- Courir et se dépenser : « jeux de chats - avec toutes leurs variantes -, faire la course, jeux de cordes, élastiques, avoir un parcours pour grimper »…
- Jouer en équipes avec des ballons : « balle assise, balle au prisonnier, basket, tchoukball, balle américaine, liaisons dangereuses »…
- Jouer calmement : « jouer aux cartes, aux jeux de société, aux échecs, lire, colorier, discuter, écrire, dessiner » …
- Explorer la nature : « jardiner, arroser, observer les insectes, toucher la terre, ramasser des feuilles, ne rien faire, écouter, observer, rêver »…
- Créer, manipuler, imaginer : « construire, assembler, démonter, bricoler, jouer au baby-foot, inventer des histoires, écrire, jouer aux vendeurs, aux policiers, aux chercheurs, à la maîtresse, aux inventeurs »…
À partir des contraintes techniques qui avaient été communiquées et du plan initial, chaque classe a proposé un plan en travaillant d’abord en petits groupes, en essayant de penser ces besoins dans l’espace puis en lien avec les matériaux qui seraient les plus adaptés. Une réunion avec deux délégués par classe a permis une mise en commun des projets entre les classes et une première proposition commune. Un débat collectif entre les trois classes a ensuite permis d’améliorer progressivement le projet jusqu’à ce qu’il ne suscite plus d’opposition. Les délégués ont ensuite été chargés de présenter ce projet lors de la réunion avec les adultes.
Présentation et validation des choix
Deux réunions collectives, incluant les élèves à l’équipe d’adultes (inter-acteurs), ont été nécessaires. Une première présentation du projet retenu par les enfants a nécessité ensuite un travail de la part de l’entreprise de terrassement et du conseil municipal pour valider l’aménagement de l’espace et des matériaux.
Le choix des essences végétales et des structures de jeux a fait l’objet d’une réunion distincte.
Zoom sur la coopération
Un tilleul au centre … et un baby-foot en bonus
Ce jeudi-là, dans la salle du conseil municipal, le ton est joyeux mais studieux. Tout le monde est là : enfants délégués, représentants des parents d’élèves, enseignants, le Maire et ses conseillers, les deux employés municipaux, le pépiniériste et le chargé du projet de plantation. Dès les premiers échanges, les enfants posent le ton. Pauline, en CE2, lance : « On voudrait un arbre qui fasse de l’ombre, là, au centre de la cour. » Tristan ajoute : « Et qui attire les oiseaux. Et qui soit joli aussi. » Le pépiniériste évoque d’abord le pommier d’ornement : petites pommes colorées, jolies fleurs, apprécié des oiseaux. Mais il prévient : « Il est décoratif, pas très dense, donc peu d’ombre. » Un parent propose alors le tilleul. Le pépiniériste approuve : « Il pousse bien ici, il apporte une vraie ombre et il est très visité par les insectes pollinisateurs. » Une enseignante souligne que le tilleul est aussi un symbole de liberté et de laïcité. Le maire conclut simplement : « Parfait, ce sera notre arbre central. » Puis un autre groupe d’enfants présente une demande plus inattendue : un baby-foot. Ils ont préparé leur dossier : prix, garantie, économie réalisée suite au choix de la structure avec des échelles suspendues, utilité. Maël résume : « C’est calme, tout le monde peut jouer, les grands avec les plus petits et même ceux qui ne sont pas dans la même classe. » Quelques regards surpris, puis un élu sourit : « Franchement, vous avez bien argumenté. Si c’est bon pour le climat scolaire et que ça passe au budget, on le met. »
Réalisation des travaux
Les travaux ont débuté pendant les vacances scolaires, avec le retrait de l’enrobé sur les deux tiers de la cour de 800 mètres carrés et un décaissement de 60 cm permettant d’accueillir terre végétale et pelouse. Des haies ont été implantées au pied des bâtiments pour apporter de la fraîcheur. Six fosses ont été creusées pour planter des arbres, dont le tilleul, au centre d’un triangle de bancs. Les élèves ont participé aux plantations, avec les enseignants et les pépiniéristes. Les espaces verts ont été aménagés (évacuation des gravats, apport de terre) : un jardin pédagogique et des récupérateurs d’eau ont été posés. Une structure en bois avec des échelles suspendues a été montée dans l’herbe. Plusieurs bancs en pierre ont été installés dans les zones « calmes » ; le “fameux” baby-foot a été scellé sous le préau.
Faire vivre l’environnement
Une fois les aménagements réalisés, l’enjeu est désormais de faire vivre ces nouveaux espaces au quotidien. Les jeux en bois, les bancs, les outils de jardin, les jeux de ballons, les coins lecture, les plantations ou les échiquiers offrent une diversité d’usages. Mais pour que ces espaces restent vivants, accueillants et équitables, une organisation collective s’avère indispensable. Elle demande une coopération régulière avec les employés municipaux ; cela suppose également d’ajuster régulièrement les règles de fonctionnement, en s’appuyant sur les dispositifs déjà en place comme les conseils d’élèves ou les messages clairs. C’est souvent à partir des situations concrètes que les ajustements prennent sens : lorsqu’il faut organiser les rotations pour le baby-foot, répartir les tâches d’arrosage ou formuler de nouvelles demandes, il devient nécessaire de rediscuter ensemble, de trouver des solutions et parfois d’expérimenter de nouvelles idées. Un local a ainsi été réaménagé pour stocker le matériel de la cour. Il permet aujourd’hui aux élèves de gérer eux-mêmes les emprunts et le rangement, dans une logique d’autonomie et de responsabilisation progressive. Faire vivre l’environnement, c’est ainsi apprendre à le gérer collectivement, à en prendre soin, et à faire évoluer son usage au fil des besoins et des saisons.
Mes conseils clés
Préparer la coopération pour faire une vraie place à l’enfant
Dans un projet collectif comme celui de la végétalisation d’une cour, il me semble qu’il ne s’agit pas seulement d’inviter les élèves à participer, mais de créer les conditions pour qu’ils puissent le faire réellement. Coopérer avec les enfants suppose d’abord que les adultes coopèrent entre eux, qu’ils acceptent de partager leurs marges de décision. Cela demande du temps, de l’écoute et une construction collective du cadre. Cela demande aussi d’accepter d’évoluer dans une part d’incertitude : « on n’apprend qu’à condition que celui qui veut faire apprendre accepte de ne pas tout maîtriser d’avance » (Meirieu, 2007). Cette posture, certes souvent inconfortable, exigeante mais féconde, rend possible de véritables espaces de coopération.
Associer les enfants trop tôt, sans avoir clarifié les possibles et les contraintes, risquerait de les placer dans une posture d’apparence : sollicités, mais sans pouvoir d’agir. Il ne s’agit pas de leur promettre ce qui ne pourra pas être tenu. La participation sincère nécessite ainsi une préparation entre adultes, pour ouvrir des espaces de discussion où l’enfant pourra comprendre, proposer, débattre et voir ce qui change, ou non, à partir de ce qu’il a exprimé.
Être acteur ne va pas de soi : cela s’apprend, et cela s’accompagne. Il faut parfois aider l’enfant à prendre la parole, à se faire entendre, y compris en soutenant son expression face à des adultes plus à l’aise ou plus dominants dans la prise de parole. Ces mots d’Éric Debarbieux semblent ainsi s’appliquer aussi dans les réunions avec les adultes : « coopérer, c’est faire ensemble. Pas seulement parler. Le conseil de coopérative n’a pas à être soumis aux seuls qui savent parler » (Debarbieux, 2022).
Et si, finalement, on apprenait à devenir citoyen non pas seulement à travers des discours, mais en vivant concrètement la démocratie ? En interpellant un élu, en défendant une idée, en observant ce qui se met en place. Demander des plantations aux enseignants, un baby-foot aux élus, proposer son aide à l’employé municipal pour enlever les cailloux dans l’herbe, remercier les parents pour les graines du jardin : autant de gestes simples, mais porteurs de sens. C’est dans ces expériences partagées, à hauteur d’enfant, que peut se construire une véritable culture de l’engagement.
Vivre « l’école du dehors »
La végétalisation des cours de récréation s’inscrit dans le mouvement plus large de « l’école du dehors », qui repense l’espace éducatif à l’extérieur des murs. Elle permet de développer des pédagogies actives centrées sur l’expérimentation, d’intégrer les apprentissages dans des projets concrets et situés, de favoriser le lien au vivant, à l’environnement, à la citoyenneté écologique.
En France, ce modèle a pris de l’ampleur post-COVID ; il interroge la flexibilité des programmes scolaires et les cadres d’enseignement, tout en rejoignant les ambitions de la loi de 2020 sur l’éducation au développement durable. À l’échelle internationale, la végétalisation des cours d’école s’impose aujourd’hui comme une dynamique éducative et écologique majeure répondant à la nécessité de l’adaptation au changement climatique et de mieux prendre en compte la santé des enfants.
Au plan pédagogique, de nombreuses études montrent que la présence de la nature dans l’environnement scolaire favorise la concentration, réduit le stress et améliore le climat scolaire (Louv, 2005). Un rapport de l’ADEME (2023) souligne que ces aménagements permettent de créer des espaces plus inclusifs. C’est aussi un levier pédagogique puissant : les enfants apprennent par l’expérience, le soin apporté aux plantes, l’observation du vivant (5). Cette pédagogie active et sensorielle en plein essor est défendue par de nombreux chercheurs et praticiens (Wagnon & Wagnon, 2025). En sortant de la classe, les élèves retrouvent un contact direct avec leur environnement, développent leur curiosité scientifique, leur sens de l’observation et du questionnement mais aussi leur coopération et leur responsabilité collective. La végétalisation peut alors devenir un support d’apprentissages pluridisciplinaires, enraciné dans le réel, et porteur de sens.
Conclusion
« Comment avions-nous pu imaginer faire une cour d’école uniquement en bitume ? » me confiait récemment un élu qui avait aussi été impliqué lors des travaux de rénovation de l’école, une dizaine d’années en arrière. La priorité était alors ailleurs, à l’intérieur des murs. Cette question, formulée à posteriori, dit bien le chemin parcouru mais aussi la manière dont un projet peut faire bouger les lignes, assez tranquillement, collectivement. Les priorités évoluent et avec elles, les représentations : longtemps conçues comme des espaces minéralisés principalement voués à la surveillance et au défoulement, les cours d’école apparaissent aujourd’hui comme des leviers essentiels d’une transformation éducative et écologique.
Les projets qui rassemblent simultanément autant d’adultes autour d’une intention éducative sont rares. Peut-être plus rares encore sont ceux consacrés à ces deux causes, pourtant essentielles, vitales même : prendre soin de la planète et de l’enfance. La végétalisation d’une cour peut ainsi devenir une aventure où la coopération ne se déroule pas uniquement entre des élèves dans un champ disciplinaire mais se vit également entre adultes, avec les enfants, avec la nature.
Une cour végétalisée n’est donc peut-être pas seulement un espace transformé : c’est aussi une communauté humaine en mouvement, où chacun apprend à se (re)connaître, à faire mieux, ensemble. Une tentative pour créer un environnement plus juste, plus attentif aux besoins de chacun, plus vivant : en résonance avec ce qui pousse, grandit, relie.
Références bibliographiques
ADEME (2023). Cours d’école résilientes – Programme national. Agence de la transition écologique.
Collot B. (2003). Une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche. Paris : L’Harmattan.
Debarbieux É. (2012). Climat scolaire et prévention des violences. Paris : Ministère de l’Éducation nationale.
Debarbieux É. (2022). La relation. In Bellenguez L. (dir.), Graines d’avenir. Nantes : Éditions Cafard.
Freinet C. (1964). Les techniques Freinet de l’école moderne. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.
Louv R. (2005). Last child in the woods: Saving our children from nature-deficit disorder. Chapel Hill, NC : Algonquin Books.
Meirieu P. (2007). Apprendre… oui, mais comment ? Paris : ESF éditeur.
Wagnon S., Wagnon R. (2025). Réussir la végétalisation des cours d’école. Lyon : Chronique Sociale.
Laurent Bellenguez est professeur des écoles et directeur de l’école élémentaire de Chevroux (01), membre du groupe Jeux et Pratiques Ludiques des Ceméa, et membre des Groupes Ressources Plaisir & EPS et 1er degré de l’AE-EPS.