Les sœurs chaussettes partent en vacances
Je me souviens, lorsque j’étais animateur combien la gestion du linge des enfants de mon groupe était galère pour moi, incapable de gérer le mien et chargé de m’occuper des vêtements d’une petite dizaine de garçons, qui prenaient plaisir à laisser traîner leurs habits un peu partout. Et pourtant, le linge est un lien olfactif et mémoriel avec son chez soi d’une telle intimité. Mais c’est quand il a disparu que les enfants s’aperçoivent du manque qu’il crée. Le circuit de la chaussette (lorsqu’elle est sale, elle ne doit plus croiser du propre jusqu’à ce qu’elle le soit à son tour) demande une organisation où chacun·e a sa place. L’équipe d’animation particulièrement, dans la gestion au quotidien et le rangement. Le nombre d’habits perdus ou abîmés sonne le glas ou pas de la satisfaction.
Le linge est un aspect de la vie quotidienne du centre de vacances qui peut parfois passer à la corbeille ! Mais si on prend le temps de discuter chiffons, on s'apercevra vite qu'il ne doit pas être négligé. Attendez d'entendre l'histoire des sœurs chaussettes !
Il était une fois, une paire de chaussettes qui partait en vacances au bord de la mer, dans la valise d`Élodie, Les deux n'étaient pas là par hasard. Élodie les avait choisies, d'abord parce qu'elles étaient belles (rouge et jaune à p'tit pois, ça ne vous dit rien ?, et surtout parce que c'était sa marraine qui lui les avait achetées en Angleterre. La petite fille était donc très attachée à ces chaussettes, ainsi qu'au tee-shirt Barbie que sa maman lui avait offert pour son anniversaire, au super maillot de bain qu'elle avait choisi à La Redoute et à la casquette Leonardo que son frère lui avait donné pour qu'elle se fasse des copines.
Le centre avait envoyé une lettre expliquant qu'il valait mieux choisir des vêtements pratiques et ne craignant pas d'être salis pour jouer. Mais ça n`empêche pas de vouloir se faire belle... Élodie voulait donc aussi emporter ses robes à volants et ses jolis souliers blancs.
Inventaire du trousseau et gestion de la garde-robe
Les sœurs chaussettes avaient donc été, ainsi que tous les autres vêtements, choisies parmi dautres candidates, lavées, puis marquées au nom de la petite fille, notées sur une fiche d'inventaire et enfin rangées avec soin dans la valise.
Bien que toutes excitées par ces préparatifs, elles s'inquiétaient un petit peu: comment allait-on les traiter, là-bas, a la mer ? N'allaient-elles pas être noyées ou oubliées dans le sale, volées par d'autres enfants, abandonnées derrière Ia machine à laver, sales et toutes trouées ?
Après toutes ces questions angoissantes qui les avaient assaillies durant le voyage, les sœurs chaussettes furent plutôt rassurées à leur arrivée par l'accueil qui leur fut réservé: un animateur aida Élodie à ouvrir sa valise, et vérifia que tout le monde était bien là. Bien lui en prit car la maman d`Élodie avait oublié de noter les habits que la petite fille portait sur elle. ll vit aussi que la casquette, le K-way, la brosse à dents et le peigne n'étaient pas marqués. Heureusement. il avait apporté un marqueur. Puis, il laissa a Élodie le temps de ranger ses affaires dans le placard a côté de son lit, comme elle en avait envie.
Le lendemain, Élodie décida de porter les chaussettes avec ses baskets pour faire des jeux et les deux sœurs furent bientôt très sales. À la fin de la journée. après s'être lavée, Élodie se demanda bien ce qu'elle devait faire de ses vêtements. Même s'ils étaient un peu poussiéreux, elle avait bien envie de les remettre le lendemain. Aussi décida-t-elle de les ranger dans son placard. Mais un animateur passa dans sa chambre en lui demandant de bien mettre ses chaussettes et sa culotte dans la corbeille de linge sale, Les chaussettes n'étaient pas très rassurées car elles avaient peur de se perdre si elles étaient mélangées avec celles de tous les autres enfants. Mais l'animateur expliqua comment ça marchait : on allait faire une lessive avec toutes les affaires sales de son groupe, sans les mélanger avec celles des autres groupes. Puis la lingère remettrait les chaussettes par deux, plierait les culottes, et ramènerait le linge propre dès le lendemain s'il faisait beau. Avec les noms marqués dessus, les enfants retrouveraient vite leurs affaires. Par contre, pour les autres vêtements, il faudrait attendre un peu car on ne les lavait que deux fois par semaine. En attendant, Élodie devait les ranger à part dans son sac à linge sale pour ne pas salir ses vêtements propres.
Élodie avait déjà un amoureux, et elle avait envie de lui plaire. Alors elle voulut mettre ses plus beaux habits. Au milieu de la matinée, elle décida d'aller se changer car elle préférait mettre son tee-shirt Barbie plutôt que son chemisier blanc. Puis a midi, elle troqua sa jupe à volants conte un short plus pratique pour grimper aux arbres. Au goûter, elle se fit une tache de confiture et voulut encore changer de tee-shirt. Mais cette fois, l'animateur lui fit remarquer que c'était trop : "Si tu continues à ce rythme, tu n'auras bientôt plus rien à te mettre. Et puis si tout le monde fait comme toi, la lingère n'arrivera jamais à nettoyer tout ce linge. Il faut bien choisir tes vêtements en fonction du temps et de l'activité que tu as prévu de faire et attendre le soir pour changer les affaires sales (à moins d'avoir fait une très grosse tache bien sûr)" . Malgré tous ses efforts, le garçon dont Élodie était amoureuse en aimait une autre. Et puis son papa et sa maman lui manquaient... Bien que cela ne lui soit pas arrivé depuis très longtemps, la petite fille fit pipi au lit pendant la nuit. Au matin, voyant cela, elle voulut cacher sa honte en refaisant vite son lit mais une animatrice eut des soupçons et vérifia ce lit fait à la va-vite sans avoir été aéré. La petite fille découverte se mit à pleurer mais l'animatrice la rassura. Elle lui dit que ce n'était pas grave, que ça pouvait arriver à tout le monde et qu'elle allait s'occuper de tout faire nettoyer. Elle partit avec les draps à la lingerie et ramena une paire de draps propres, puis elle aida Élodie à refaire son lit. "Si ça recommence, n'aie pas peur de m'en parler, je ne me fâcherai pas. Et puis on expliquera aux autres que ça peut arriver à tout le monde et qu'il ne faut pas se moquer. En te levant, tu iras directement à la douche, puis tu mettras ton pyjama et tes draps dans la corbeille pour qu'on puisse les emporter à la lingerie."
État de la valise : qualité du séjour
Pendant ce temps, les petites sœurs chaussettes avaient été lavées, puis étendues pour être séchées, puis dépendues et rangées ensemble. Elles attendaient qu'on les rapporte dans leur chambre quand elles aperçurent des "cousines", sur une étagère de la lingerie, comme si elles habitaient là. lntriguées, elles leur demandèrent à qui elles appartenaient, puisque les enfants gardaient leurs vêtements dans leur chambre. Mais celles-ci n'appartenaient à personne. Elles avaient été oubliées lors de précédents séjours car elles n'avaient plus de nom. Depuis, on les gardait en réserve, pour les enfants qui n'avaient pas beaucoup de vêtements. Mais tout le monde n'avait pas ce privilège: les chaussettes dépareillées, les culottes trouées, les tee-shirts déchirés étaient jetés sans pitié. On ne gardait ici que les plus beaux vêtements que les enfants pourraient mettre sans être montrés du doigt. Et si les enfants avaient besoin de chaussures, elles étaient généralement achetées, pour être bien à leur taille.
Après plusieurs va-et-vient entre le placard, le sac linge sale et la machine à laver, le moment du départ approcha. ll fallut à nouveau sortir la valise, faire l'inventaire pour vérifier que rien n'était perdu. Cette fois, les affaires sales furent rangées dans le sac à linge, les affaires encore humides furent mises dans un sac plastique, ainsi que les chaussures débarrassées de toute leur boue. Une des chaussettes était un peu trouée mais la lingère avait pris le temps de la raccommoder. En revanche, on ne put jamais remettre la main sur la casquette qu'Élodie avait apportée. L'animatrice mit un petit mot sur l'inventaire pour s'en excuser.
Lorsque le papa d'Élodie ouvrit la valise, il fut très content de trouver tous les vêtements bien pliés et rangés dans des sacs à part, ainsi que le petit mot d'excuse.Quelques semaines plus tard, Élodie reçut une lettre avec la liste des affaires trouvées après le rangement du centre. Et sa casquette Leonardo y figurait! Il suffisait de passer la chercher au comité d'entreprise qui s'occupait du centre. Pas besoin d'attendre l'année prochaine pour aller la chercher sur place,.. Elodie et sa paire de chaussettes étaient vraiment très contentes de leurs vacances.
Article publié dans la revue Les cahiers de l’animation - vacances loisirs n° 32 - octobre 2000