LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Et si la lecture c’était ça aussi ?

La lecture est avant toute chose un acte de communication, une véritable et riche pratique sociale. On lit parce qu’on a du monde autour de nous qui lit et cette proximité dans un discours invisible engage à se laisser aller à lire. Aucune lecture n’est simplement individuelle.
Média secondaire

Bernard Friot apporte un regard affirmé et peu consensuel sur la notion de lecture. Il insiste sur le fait que tous les choix de lecture sont liés à une idéologie et à des convictions. Il aborde également l’idée de « lire avec les oreilles » novatrice en France qui dit qu’écouter un texte lu est déjà une pratique littéraire. Il ajoute que les enfants peuvent être ses compagnons d’écriture et que pour écrire il faut penser au lectorat. Car ce sont bien les lecteurs et les lectrices qui importent et non pas les livres. Lire est un projet, mais jamais un projet solitaire. Enfin, pour lui ce sont les animateurs et les animatrices les vrai·e·s médiateur·rices du livre.

Propos recueillis par François Simon pour Vers l'Éducation Nouvelle

Auteur jeunesse, Bernard Friot affirme une position radicalement opposée à celle défendue par la majorité des auteur.e.s, il expose avec ses arguments sa définition de la lecture. Une approche particulière qui détonne dans le paysage du cénacle de « la charte des auteurs ».

Ven - Qu’est-ce que la lecture ?

Bernard Friot – Pour moi, la lecture est avant tout un acte de communication qui possède différentes composantes et qui ne se limite pas au déchiffrage et à l’interprétation d’un texte. La lecture, l’acte de lire, est toujours précédée et suivie d’échanges sociaux et c’est pourquoi c’est une pratique culturelle estimable et à part entière. J’utilise beaucoup pour parler de lecture le concept allemand de Leseerlebnis traduisible par « événement vécu de lecture». En effet, quand je lis un livre c’est un moment de ma vie, ce sont des instants qui ont tous une dimension sociale. Si je lis silencieusement, je me réfugie dans une certaine intimité mais quand j’ai fini ma lecture, je retourne dans le groupe d’où je me suis retiré momentanément. C’est donc une pratique sociale aussi par le fait que ma lecture d’un texte s’ajoute à la lecture de ce même texte par d’autres personnes. Toutes ces lectures successives ou simultanées transforment peu à peu la réception et l’interprétation du texte. Elles lui donnent une valeur sociale déterminée, et c’est à travers cette grille socioculturelle que je lis. Aucune lecture n’est seulement individuelle, il y a échange même si on n’échange pas avec d’autres à propos du texte lu. On en a entendu parler, on lui attribue une valeur au travers de tous les discours tenus sur ce texte, et de ce que nous disent les lecteur.trice.s professionnel.le.s (les éditeurs.trice.s) par l’envoi de signes conventionnels tels que le graphisme, la mise en page.

Quand on entame la lecture d’un livre, les critiques, les recommandations des amis, la place qui lui est assignée en librairie, sa présentation graphique nous donnent une grille d’interprétation à laquelle il est difficile de se soustraire. Tout cela constitue un discours invisible qui fait qu’on ne lit jamais un texte à partir de rien. On peut faire référence à Gérard Genette qui écrit dans son ouvrage Seuils : « Il s'agit ici de seuils du texte littéraire, ou paratexte : présentation éditoriale, nom de l'auteur, titres, dédicaces, épigraphes, préfaces, notes, interviews et entretiens, confidences plus ou moins calculées, et autres avertissements en quatrième de couverture. Car les œuvres littéraires, au moins depuis l'invention du livre moderne, ne se présentent jamais comme un texte nu : elles entourent celui-ci d'un appareil qui le complète et le protège en imposant un mode d'emploi et une interprétation conformes au dessein de l'auteur. Cet appareil, souvent trop visible pour être perçu, peut agir à l'insu de son destinataire. Et pourtant, l'enjeu en est souvent considérable : comment lirions nous l'Ulysse de Joyce s'il ne s'intitulait pas Ulysse ?» Un article de journal, je choisis de le lire en fonction d’intérêts, de préoccupations idéologiques. Le droit de lire ou de ne pas lire est un acte qui m’engage chaque fois, à chaque nouvelle lecture. Dans mon cas personnel, je n’achète jamais Le Monde du vendredi parce que je refuse un certain type d’appels à consommer qui y figurent. Tous nos choix de lectures ou de non lectures sont liés à une idéologie et à des convictions.