« Le roman est ennemi de la vitesse, la lecture doit être lente et le lecteur doit rester sous le charme d’une page, d’un paragraphe, d’une phrase même. » Kundera
Pédagogie du chronomètre
L’introduction d’une évaluation de vitesse chiffrée au moment où les enfants apprennent à lire interroge. Ne les installe-t-on pas d’entrée dans un rapport biaisé à la lecture ? L’adulte n’a pas besoin de noter un temps pour se rendre compte qu’un enfant lit de manière fluide ou encore hésitante. On peut se demander si ce n’est pas la volonté de produire des éléments chiffrés et quantifiables, des tableaux à double entrée, camemberts statistiques et autres courbes de progression qui motivent cette pratique du chronomètre. « Quand un outil n’est plus au service de l’homme, mais que c’est l’homme qui est au service de l’outil, cet outil a alors dépassé ce qu’on appelle son seuil de convivialité.1 » Le chronomètre n’aurait-il pas ici comme but premier d’attester de manière scientifique et quantifiable, le sérieux du travail d’enseignement ?
Chacun a pu faire l’expérience un jour que le “tic-tac” des secondes qui s’écoulent et éloignent de la réussite est générateur d’inquiétude, voire de stress. Bien au contraire, lors de l’apprentissage de la lecture, l’enfant doit se sentir rassuré face au texte. Il est important qu’il puisse être en situation de réussir, même de manière modeste. Cette satisfaction de pouvoir accéder au texte et décoder le message va l’amener progressivement à créer des ponts, élargir son registre et devenir plus à l’aise.
Le rapport régulier au chronomètre, qui en plus d’acter la lenteur de certains met les enfants en concurrence chiffrée, favorise-t-il vraiment les conditions d’un apprentissage serein ? Kundera affirmait que « le roman est ennemi de la vitesse, la lecture doit être lente et le lecteur doit rester sous le charme d’une page, d’un paragraphe, d’une phrase même.2 »
On peut s’étonner que dans la phase d’apprentissage de la lecture, qui est un des accès à la littérature, on puisse faire entrer la notion de vitesse. À l’école, certains enfants pensent parfois que pour montrer qu’ils connaissent bien un poème, il faut le réciter le plus vite possible. On doit alors leur expliquer que la vitesse n’est pas synonyme de plaisir de dire et de mise en valeur des mots.
Et si nous redonnions aux enfants le temps d’apprendre ?
1. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, La Faute de l’orthographe, la convivialité, Éditions Textuel, 2017
2. Milan Kundera, entretien avec Antoine de Gaudemar, février 1984