Les geôles du précariat
Il suffit, pour discerner les fonctions extrapénologiques remplies par l’extension démesurée du système carcéral des ÉtatsUnis, alors même que le taux de criminalité chute continûment depuis plus d’une décennie, de tracer à grands traits le profil sociologique de la « clientèle » qu’il accueille à son point d’entrée. Il apparaît alors que le demi-million de détenus qui engorgent au quotidien les 3 300 maisons d’arrêt – ainsi que les quatorze millions de corps qui franchissent leurs portes dans le cours d’une année – proviennent essentiellement des fractions les plus marginalisées des classes populaires, et plus particulièrement des familles du sous-prolétariat de couleur des ghettos historiques ravagés par la transformation conjointe du travail salarié et de la protection sociale. Retrouvant ainsi la mission historique de ses origines, l’incarcération sert donc avant tout à réguler la pauvreté, sinon à la perpétuer, et à entreposer les rebuts humains du marché. En ce sens, le gonflement gargantuesque des lieux de détention converge et complète le déploiement des politiques sociales de workfare (qui conditionnent l’aide sociale à l’acceptation d’un emploi déqualifié).
Plus de 60 % des occupants des maisons d’arrêt des comtés sont noirs ou latinos (respectivement 41 % et 19 %), contre 48 % en 1978, alors que ces deux communautés représentent ensemble seulement 20 % de la population du pays. Moins de la moitié d’entre eux disposaient d’un emploi à plein temps au moment de leur arrestation (49 %), alors que 15 % travaillaient à temps partiel ou occasionnellement, les autres (20 %) étant à la recherche d’un emploi ou inactifs (16 %). (...)