LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

A quoi joues-tu ?

Simone Gigiaro et Barbara Tarditi, formateurs et animateurs des Ceméa Piémont ont récolté des observations en centre de vacances sur les stéréotypes et les rôles sociaux sexués
Média secondaire

L' expérience entre dans le cadre du projet européen "A quoi joues-tu ?" pilotée par la FICEMEA qui se fixe comme ambition d'intégrer la déconstruction des stéréotypes et des rôles sociaux sexués dans les programmes de formation aux métiers de la petite enfance comme une question centrale et essentielle dans la construction de l'identité sociale et sexuée des garçons et des filles.

Le cadre de l'observation expérimentale est une colonie en bord de mer (Loano, Ligurie) de la ville de Turin gérée par les Ceméa du Piémont depuis 2001: 80 enfants de 6 à 12 ans. Séjour du 8 au 19 août 2005. L'équipe pédagogique est constituée de seize animateurs et animatrices (quatre groupes d'enfants avec trois animateurs et un enfant handicapé dans chaque groupe plus un animateur par groupe) et d’un directeur. ll y a quatre garçons dans l'équipe d'animation.

L'hypothèse de départ se résume dans ces questions : les enfants choisissent-ils des activités en fonction de leur sexe ? Quelles sont les activités que filles et garçons aiment le plus ? Cette préférence est-elle liée au modèle adulte qui le propose ? Nous avons choisi le moment des "activités calmes" de l'après-midi pour pouvoir observer la dynamique des comportements des enfants.

Dans le séjour nous pratiquons le réveil individualisé: les enfants peuvent se réveiller le matin sans limite d'horaire, un petit déjeuner échelonné est organisé avec des coins d'activités calmes.

Après le repas de midi, tous les enfants et les animateurs sont présents et les espaces peuvent être organisés (surtout à l'extérieur, dans la cour) avec des coins d'activités proposés par les animateurs. Les enfants sont libres de choisir en fonction de leurs intérêts, de leur âge, mais aussi en fonction de leur relation avec l'adulte. ll peut être alors intéressant d'observer comment ils se répartissent autour des groupes d'activités, si en changeant d'activité, selon le sexe de l'enfant, il y a une relation avec l’animateur, l’animatrice qui joue un rôle dans le choix et s'il est des activités plus stéréotypées que d'autres...

Nous avons souhaité, dans l’espace du centre de vacances, réaliser une démarche de "déconstruction" des attitudes des enfants et des adultes en situation de choix d'activité et donc de relation à l'autre, à soi. Le terme "déconstruire" renvoie à analyser, conscientiser, comprendre comment cela fonctionne. Comprendre le mécanisme, c'est chercher à remonter la construction. La déconstruction ne signifie pas supprimer mais apprendre à changer d'attitude. La démarche suivie était simple : le directeur n'a pas informé les animateurs du projet d'observation mais il a filmé des situations et pris des photos. Dans un premier temps, on a donc réalisé une phase de trois jours d’observation "neutre", puis le directeur a montré aux animateurs les films et les photos et a présenté le projet d'observation.

Un débat s'est ouvert dans l'équipe et une démarche de sensibilisation des adultes s'est mise en œuvre. En fonction des éléments observés et discutés, s'est organisée une phase de quatre jours de modification de la communication verbale et de changement de rôle de la part des animateurs qui menaient les activités.

L'observation est donc intervenue comme "situation" permettant aux jeunes animateurs sans compétences spécifiques dans le domaine de l'observation, de se poser des questions, de prendre du recul sur leurs attitudes, de regarder les enfants avec un regard différent, d'aller vers une attitude plus conscientisée sur le plan éducatif. Évidemment la question de la relation sexuée a joué un rôle important de stimulation dans ce cadre.

Les premières observations où les animateurs étaient "libres" ont permis de noter une démarche de la part des enfants et des adultes sur la constitution de petits groupes et de récolter des données sur la verbalisation des préférences.

Après discussion, l'attention a été portée en priorité sur les verbalisations des enfants et sur ce que les différentes attitudes des adultes ont provoqué, et donc sur des changements éventuels d'attitudes des enfants. Les animateurs devaient, dans le même temps, essayer de remarquer les variables qui intervenaient sous l'influence conjuguée du temps et du changement d'attitude des adultes.

Dans la seconde partie du travail, les activités proposées ont été choisies en fonction de leur composante féminine, masculine ou neutre (imaginée et alimentée par les premières observations) selon un tableau défini avec les animateurs. Évidemment, la dimension subjective du départ n'a pas été complètement éliminée.

PREMIER JOUR
Activitécomposanteanimateur
Cordesneutrem+f
Peinturefémininf+f
Braceletfémininf
Baby-footmasculinSans animateur
Poupéesfémininf
Minigolfmasculinf
Pistolet à élastiquemasculinf
Quelques éléments d’analyse

Corde
Les animateurs (un garçon et une fille) encouragent les enfants a essayer, sans faire de distinction entre filles et garçons. On peut avoir l'impression qu'ils défendent les filles face à l'esprit plus "compétitif" des garçons. L'animatrice est concentrée sur la corde et la personne qui joue, le garçon est plus attentif au groupe qui attend pour régler les passages et les discussions.

Peinture
L'animatrice, qui a la responsabilité du coin d'activité, ne s'adresse pratiquement qu'aux filles. Les garçons arrivent assez spontanément mais l'animatrice ne s'occupe pas d'eux et ne valorise quasiment pas leurs productions. Les filles sont gratifiées par l'animatrice surtout si les tableaux répondent à des stéréotypes. Pas de commentaires pour les productions "originales".

Minigolf
L'activité est organisée par un animateur mais se déroule pratiquement en autonomie par les enfants. Rapidement deux groupes se constituent: les filles d'un côté, les garçons de l’autre. Les garçons sont en compétition entre eux d'une façon évidente. Ils calculent en combien de coups ils peuvent compléter le parcours. Les filles jouent mais sans être en concurrence entre elles. Elles respectent leur tour et elles ne donnent pas d'importance au score. Très peu de collaboration motrice ou affective entre les joueurs de sexes différents.

Bracelets
L'activité est conduite par une animatrice. Il n'y a pas de différences entre garçons et filles: ils sont impliqués et collaborent entre eux. L'animatrice gère le matériel et contrôle le déroulement de l'activité. Le dialogue avec les enfants est limité car ils s'amusent à réaliser leur objet, Les enfants se passent des informations entre eux pour les apprentissages nécessaires.

Poupées
L'activité est choisie autant par des garçons que par des filles même si on peut remarquer une présence plus importante des garçons. L’activité demande un temps de réalisation plus long et les garçons donnent l'impression de mieux tenir la durée. L'animatrice encourage plus les garçons et ils s'impliquent bien dans l'activité. L'animatrice appelle d'autres animateurs pour montrer que ce sont bien les garçons qui pratiquent une activité "de fille". Des filles, en effet, se moquent des garçons qui continuent leur activité sans problème apparent.

Coin kermesse (pistolets à élastiques)
L'activité est gérée par une animatrice. Immédiatement le public est formé par des garçons attirés par les pistolets à élastique mais bientôt arrivent des filles, même si la majorité est toujours représentée par les garçons. L’animatrice dit qu'elle n'a pas ressenti une référence aux sexes... Serions-nous trop habitués a considérer cette activité comme un "Jeu de garçon "?

Baby-foot
Un jeu sans animateur: mais c'est un homme qui le suit à distance sans intervenir. Les joueurs ne sont que des garçons bruyants, qui se bagarrent, qui s'insultent, qui reproduisent la situation d'un bar... Ils se frappent. Les filles ne sont pas invitées par les garçons et quand l'animateur invite des filles à venir jouer, elles refusent.

Conclusion provisoire

L'observation a créé un espace de confrontation et de discussion entre les adultes sur un sujet normalement peu pris en compte et les a conduits à adopter des "postures" plus réfléchies. En même temps, cela a permis aux enfants, d’une façon indirecte, de vivre des situations dans lesquelles la mixité était le produit d’une relation renouvelée grâce à l'attention des adultes sur leurs propres stéréotypes.

Évidemment, on a constaté que les garçons préfèrent certaines activités, les filles d'autres, y compris dans une logique d’exclusion, mais on a pu constater également que si les adultes interviennent, il peut y avoir des changements d'attitudes. Il ne s'agit pas de nier l’existence d'espaces non mixtes mais de refuser le stéréotype que ces espaces sont déterminés a priori.

De même, il ne s'agit pas de gommer les différences entre filles et garçons (car l'identité de genre se construit justement par des choix différents) mais de permettre aux enfants d'expérimenter des situations différentes et non cloisonnées. L'aspect intéressant a été la discussion développée avec les animateurs tout au long de l'expérience d'observation. La discussion a été centrée autour de trois points:

  • La place et le rôle des adultes dans ie conditionnement des enfants ;

  • Le travail sur ses propres stéréotypes ;

  • Le rôle et l'importance du cadre (les lieux, la mise en jeu des espaces) pour faire évoluer les comportements et la prise en compte de l'autre.

DANS CE CADRE, NOUS EN SOMMES ARRIVES A CONSTRUIRE UN PETIT LEXIQUE INTERNE, RESULTAT DU TRAVAIL VECU

Stéréotype. Convention sociale qui masque des convictions préconçues, qui attribue aux deux sexes des comportements dans lesquels on s’identifie mais qui ne sont pas nécessairement acquis sur la base d'une expérience directe.

Discrimination. Action qui trace, définit, confirme une distinction fondée sur un critère exclusif qui exclut ou inclut sans médiation les stéréotypes en action.

Egalité hommes-femmes

  • Garantir le même traitement comme individu en tenant compte des différences naturelles de genre. Le droit de vivre selon ses propres capacités et ses choix personnels;

  • Conditions de droits similaires, de chances similaires, de devoirs similaires et de dignité identique.

C’est le travail sur soi-même soutenu par une réflexion théorique et pédagogique sur le cadre matériel et les relations entre adultes et enfants qui peuvent créer des dynamiques nouvelles, même au centre de vacances. C’est aussi une tâche de longue haleine, qui engage  très précisément l'avenir.

 


Article publié dans les Cahiers de l'animation - Vacances Loisirs