Quel rôle pour l'animateur ?

Animateurs voile, cerfs-volants, ou même vie quotidienne... On assiste à une spécialisation de plus en plus grande du rôle des animateurs, ceci nous pose des questions sur le sens de leur mission éducative et sur les objectifs des centres de vacances.
Média secondaire

Il y a toujours eu des animateurs auxquels leurs compétences spécifiques conféraient un statut particulier. Les responsables de l'activité voile, spéléo ou escalade n'avaient pas de groupe d'enfants attitré: la préparation et la gestion de leur activité les amenaient à vivre a un rythme différent. Bien que cela ne fut pas toujours simple en terme de coordination avec les autres animateurs, le nombre limité de ces situations permettait de les intégrer à la vie du centre de vacances. Une tendance à la spécificité, l'évolution de la législation, ainsi que l'élargissement du panel d'activités proposées sur la plupart des séjours ont modifié le contexte.

Un breveté d`État, guide, moniteur fédéral est souvent embauché à la journée en tant que prestataire de service. Dans le cas où l`activité qu'il dirige est régulière, il fait partie de l`équipe d'animation. mais en général, ses interventions se limitent, uniquement, à son domaine de compétence. Cette situation spécifique se conçoit pour des professionnels qualifiés. lls sont une obligation à la pratique de l'activite, travaillent sur un domaine particulier et ont une formation très pointue. Mais elle pose des questions quant au lien avec le reste du séjour et nécessite la mise en place de stratégies qui permettent que l'activité ne se cantonne pas au seul moment de pratique.

Sans ce lien, l'activité n`existe que pour elle-même et risque de devenir consumériste. « Dans ce centre de vacances, chaque enfant a droit à une sortie spéléo, C'est écrit sur la plaquette de l'organisateur."

Qu'il puisse y avoir un avant et un après

C'est le grand jour, Kévin se prépare. "Hier soir on leur a dit de prendre des bottes, un jean's et un K Way". Il a essayé d'obtenir davantage de précisions, mais tout ce qu`il a pu apprendre de l'animateur c'est le nom de l'endroit (le scialet Graille). Kévin monte dans le véhicule de transport du centre et en route pour "l'aventure". Après avoir pris un chemin de terre, la camionnette s`arrête. les enfants descendent accompagnés d`un de leurs animateurs. Un spéléo les attend. Il s`appelle Patrick. Il a préparé du matériel. ll leur explique comment mettre leur baudrier et utiliser le descendeur.

- Ne t'ínquiète pas, lui dit Patrick, qui en bon professionnel a repéré une inquiétude chez Kévin. Cest un tout petit puits et je serai avec toi en haut. Si tu n`y arrives pas bien, je t`aiderai et en plus, je t'assurerai.

Kévin descend et visite la grotte. ll est ravi. Il pose à Patrick plein de questions sur la spéléo. Puis, il remonte sur une échelle en câble pour sortir du Scialet. Le temps de quitter le matériel, et de goûter, le véhicule est là qui vient les chercher. C'est fini, Kévin reparlera un peu de sa sortie avec ses copains. Il écrira à ses parents qu'il a fait de la spéléo. Il essayera aussi d`évoquer cette activité avec son animateur qui n'y connaissant pas grand-chose, évitera ses questions. Mais après-demain, ils iront faire du VTT..."

Cette situation est caricaturale mais elle reflète une réalité que vivent bien des enfants. Elle n'est pas inhérente au fait que l'on soit obligé de faire appel à un personnel extérieur. Avec la même logistique on pourrait imaginer des enfants préparés à la sortie, ayant visité une grotte aménagée. Ayant appris au centre de vacances à mettre un baudrier, à utiliser une lampe à acétylène, s`étant entraînés à grimper sur une échelle installée sur le portique des balançoires, ou ayant à leur disposition de la documentation sur la spéléo et sur les grottes de la région. Des enfants, à qui on a parlé de cette sortie. qui savent où ils vont, ce qu'ils vont voir. Des enfants, enfin, pour lesquels cette activité pourra peut-être déboucher sur autre chose. Il est possible d`envisager le projet d'exploration d'une autre grotte avec ceux qui ont été très intéressés par cette initiation. Même si en contrepartie, ils ne font pas de VTT ou de tennis.

Les activités de sensibilisation, ne nécessitent pas de spécialistes. Des animateurs ayant déjà vécu quelques sorties peuvent aider les enfants à appréhender et à mieux vivre cette découverte du milieu souterrain. Et il n`y a aucune ambiguïté sur le rôle de ces animateurs. Ils ne sont pas spécialistes de la spéléo et n'auront pas la responsabilité de l'encadrement de la sortie. Si la visite de la grotte débouche pour certains sur une autre exploration, là aussi, leurs animateurs ont un grand rôle à jouer dans la mise en place de ce projet. Étudier les cartes en fonction de la grotte indiquée par le moniteur spéléo, pour voir s'il peut y avoir un camping ou une randonnée associée. Préparer avec les enfants, la logistique du projet couchage, alimentation. Les accompagner lors de l'exploration et pouvoir partager avec eux les impressions ressenties.

Quelle conception de l'animation ?

Une dérive est en train de s'opérer, dans laquelle la notion d'activité est remplacée progressivement par une liste d`activités spécifiques, pour lesquelles, il faut évidement des animateurs spécialisés.

Le terme d`animateur spécialiste s`étend petit à petit. Et on voit apparaitre des animateurs, cerf-volant, "théâtre", chant, découverte du milieu... Et celui qui n'est spécialiste en rien? Eh bien, il s'occupe de la vie quotidienne. Mais qu'il se console, car bientôt, il pourra s`affirmer "spécialiste en vie quotidienne".

Que des animateurs aient des compétences particulières et qu'elles puissent être exploitées est une bonne chose, qui a toujours existé. ll serait dommage que les enfants ne profitent pas des connaissances d'un animateur sur les cerfs-volants, ou qu'il y ait sur le centre du matériel que personne n`est capable d'utiliser.

La dérive ne se situe pas là. Mais la spécificité des animateurs, va souvent de pair avec un principe d'encadrement lui aussi spécifique, qui conduit à une espèce de zapping, où les activités n'ont de lien, ni par la vie du centre, ni par les individus qui les encadrent. Pour les cerfs-volants tu seras avec l`animateur cerf-volant, pour le tennis, tu iras avec l`animateur tennis, et pour les repas, la toilette et le coucher. tu seras avec l`animateur vie quotidienne... Une des richesses de l`animation dans les structures de centres de vacances avec hébergement est la globalité des différents moments de la vie.

C'est l'animateur qui me fera faire des cerfs-volants, qui sera avec moi à table, exigera que je range ma chambre ou me lira une histoire pour m'endormír. Même, s'il est visiblement meilleur pour faire voler des cerfs-volants, que pour lire une histoire. Les relations qui s`établiront, le seront à travers tous ces moments. L'animateur, maîtrisant parfaitement une activité et la menant brillamment, animant une activité pour laquelle il a moins de facilités, découvrant avec l'enfant ou étant, lui aussi, participant à une activité spécifique, gérant la vie quotidienne... C'est à travers toutes ces grandes et petites choses, la force et la faiblesse de l'animateur que s'établiront des relations vraies.

«Yoan est animateur cerf-volant, son statut au sein de la structure ne le fait intervenir que quelques heures par jour avec les enfants dans l'atelier qu'il anime, mais parfois, il va également dans les groupes pour une activité. ll est enjoué, dirige son atelier avec dynamisme et a un bon contact avec les enfants. Yoan a le sentiment d'être très compétent. Les discussions qu'il a avec les autres animateurs le renforcent dans cette idée. ll n'a jamais de problèmes avec les enfants qui mettent les équipes d'animation en difficultés. Il a tendance a un peu trop faire remarquer cet état de fait aux autres animateurs. Ce qui est parfois mal ressenti. Mais quelle est son autorité réelle ?

ll ne voit les enfants que dans le cadre d'une activité qu`il maîtrise parfaitement, pour des moments limités et en parallèle des contraintes de la vie des groupes. N'est-on pas en train d'enfermer enfants et animateurs dans une autorité de façade, où les individus ne se présentent que sous leur meilleur jour? Cette tendance à la spécialisation de la fonction d'animateur pose enfin, des problèmes de formation. Le fonctionnement en grand groupe permet un échange et un partage des connaissances. Chaque animateur arrive avec son expérience, ses intérêts. Ensemble, et en fonction des enfants, ils vont avoir à bâtir la vie du groupe. Et de ce travail global, ils apprendront de l'autre et apprendront à l'autre. Une spécialisation des fonctions est un frein à ces échanges, puisque chacun est responsable et organisateur de sa "spécialité".

Quelle conception de l'activité?

Gisèle de Failly, fondatrice des Ceméa, disait à propos de l`éducation: "Elle est de tous les instants". La connaissance n'est pas un empilement de savoirs, mais une mise en relation de ces savoirs.

Si le rôle de l'animateur perd de sa globalité, ces ponts entre les différents moments de la vie du centre seront plus difficiles à créer. Le spécialiste cerf-volant verra défiler les groupes du matin au soir, mais sera peu en relation avec les enfants hors du contexte de son atelier. Ils entendront parler du vent en faisant de la voile, en fabriquant des cerfs-volants, en découvrant le milieu marin, mais chaque fois dans un contexte et sur un registre différent, sans lien avec les autres activités. Alors que l'intérêt des centres de vacances avec hébergement est justement de pouvoir bénéficier d'une structure où ces liens sont facilités, puisque les enfants vivent en permanence avec leurs animateurs. «Ce soir, on se couchera plus tôt, car demain il y a une randonnée importante suivie d`un camping ! Et alors? demande Mickaël. L'animateur parle avec lui de la santé, de l'équilibre de vie, de l`activité qui ne se limite pas au seul moment de pratique. Mickaël ne semble pas convaincu, la discussion s`engage avec les autres enfants, on va prendre l'assistant sanitaire à témoin... "

Lorsqu'il passe devant le phare qui est à l'entrée du port, Rachid semble fasciné par ce bâtiment. "Ce soir, annonce l'animateur; nous nous coucherons plus tard que d'habitude. Nous descendrons jusqu'au port et nous pourrons voir le phare lancer ses éclats."

Tous les instants du centre de vacances recouvrent la notion d'activité, jouer, manger, dormir, se laver, chanter, faire de la voile... Cette tendance à la spécialisation des animateurs sépare tous ces moments de leur contexte global et ce faisant crée une hiérarchie dans les activités.

Dormir et préparer une randonnée ou faire de la spéléo ont un lien de sens, bien que ces deux choses soient sur des registres très différents, elles se complètent. Si ce lien disparaît et qu`il y a d'un côté l'animateur cerf-volant et de l'autre l'animateur toilette et coucher, il est à parier que l'une des deux activités sera nettement plus prestigieuse que l'autre.

La pratique de l`activité et les apprentissages sont étroitement liés et fonctionnent en interaction. L'enfant va découvrir, commencer à pratiquer et les apprentissages arriveront comme moyen d'aller plus loin ou de pouvoir réaliser un projet. Il va tâtonner, essayer, chercher, construire ses propres outils d'appropriation du savoir. Mais, il va aussi dans certains cas avoir recours à un apprentissage systématique pour pouvoir pratiquer une activité.

Ce qui me semble le plus inquiétant dans cette dérive d'une spécialisation de la fonction d'animateur, est que l`on renforce chez les enfants l'idée que seuls peuvent faire ceux qui savent. Laisse chanter ceux qui ont appris à chanter, réparer un pneu de vélo, ceux dont c'est le métier, faire des cerfs-volants à ceux qui ont la formation pour...

... Et penser ???

 


Article publié dans les Cahiers de l'animation - Vacances Loisirs