La parole est d'or

Quand la prévention de la Covid, confronte les enfants aux masques, il est essentiel que les non-dits liés à l’expression du visage puissent être explicités.
Média secondaire

Je me promenais sur le port, lorsque je vis un petit garçon, qui marchait sur le quai avec ses parents. La scène ne manqua pas de me rappeler, que lorsque j’avais son âge, j’avais vécu la même situation en longeant les barques de pêche amarrées au ponton. Il y avait là une forme de complicité intergénérationnelle. Aussi, lorsque nous le croisâmes, je lui souris. Mais étrangement, l’enfant me jeta un regard inquiet. En une fraction de seconde, je réalisai qu’il n’avait pas pu voir le bas de mon visage, Coronavirus oblige… Comment un jeune enfant pouvait-il interpréter les yeux d’un adulte le fixant ? Par convention sociale, un sourire est perçu comme un signe amical. Mais comment imaginer ce qui est derrière le masque ? Difficile comme anticipation lorsque l’on a quatre ou cinq ans.

Depuis plusieurs mois, les enfants sont face à des adultes masqués et depuis peu, ceux de plus de 6 ans se retrouvent eux aussi masqués en classe ou dans la cour de récréation. Cette situation renforce un climat anxiogène ambiant, qui a tendance à représenter l’autre comme un danger potentiel. Le port du masque ajoute à cela une difficulté à percevoir une partie des intentions de ceux et celles à qui l’enfant est confronté.

La communication non-verbale est un facteur essentiel de nos relations. L’attitude et le geste en disent souvent aussi long que des mots et peuvent aussi éclairer un propos. « Bravo !» accompagné d’un sourire ou d’une mine courroucée ne représente pas du tout le même signifiant. La Commedia dell Arte joue avec excellence de la communication non-verbale et la plupart de ses masques de théâtre laissent découvert largement le bas du visage, pour permettre de pouvoir jouer avec les expressions faciales.

En cette période complexe à vivre pour les enfants et les adultes, il me semble essentiel que les non-dits liés à l’expression du visage soient explicités. Si j’avais dit au petit garçon rencontré sur le port : « Moi aussi, quand j’étais petit, je me promenais ici avec mon papa et ma maman. », je pense que cela aurait généré chez lui une réaction différente. Les enfants ont besoin qu’on leur parle pour expliciter, ce que le langage corporel ne peut plus transmettre en raison du masque. Il est essentiel qu’ils puissent être en relation avec les autres, qu’ils soient enfants ou adultes. Le contexte actuel génère une tendance forte au repli sur soi, volontaire ou contraint. Les enfants ont besoin de pouvoir partager et créer du lien, mais aussi de pouvoir déposer leurs inquiétudes pour les exorciser ou les relativiser. Il est donc indispensable de parler et de faire parler, même si au travers d’un masque ce n’est pas des plus simples. Ce qui « allait sans se dire », doit se dire.

Un vieux proverbe énonce que « la parole est d’argent, mais le silence est d’or… » Il faut se méfier des certitudes proverbiales, qui n’avaient certainement pas anticipé des enfants et des adultes avec le bas du visage masqué. Il faut revoir nos classiques et affirmer : « La parole est d’or ! »

masques en train de sécher