Origines et idées de base de l'Education nouvelle

L’Éducation nouvelle, née au début du siècle dernier puise sa sève dans des idées fondamentales qui, si elles ont connu une évolution en phase avec la société, restent d’actualité. Elles demeurent les fils conducteurs de notre pédagogie et passent inévitablement par l’activité.
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L’activité a de tous temps constitué un sujet privilégié pour la pensée, il suffit simplement de veiller à ce que la réflexion ne prenne pas le pas sur l’action, sinon c’est un bon moyen de fuir l’activité ou de l’étouffer. Mais il apparaît qu’aujourd’hui elle connaisse un regain d’intérêt qui la fasse être sur le devant de la scène de l’éducation nouvelle. Ce ne peut qu’être profitable à l’élan que les Ceméa ont su maintenir au cœur de l’éducation.

Cemea

J'en arrive maintenant à quelques réflexions sur un sujet sur lequel nous avons beaucoup travaillé dans notre association : l'activité. Pour l'éducation nouvelle elle est tout à fait importante. Beaucoup de psychologues ont dit « l’activité se confond avec la vie, s’il n’y a pas d’activité, il n’y a pas de vie ». Et l’activité, c’est ce que l’individu projette constamment, que ce soit manuel, que ce soit intellectuel, que ce soit artistique… Son activité, c’est ce qui lui permet d’agir sur le monde, de le transformer, c’est ce qui, à travers les siècles, créé une civilisation. C’est ce qui a permis à l’homme, grâce à la main et au cerveau, de devenir de plus en plus « homme ». On parle beaucoup aujourd’hui des gens qui ont des difficultés au moment de leur prise de retraite, parce qu’il y a soudain cessation d’activité ; si bien que beaucoup de retraités quittant leur travail rémunéré, indépendamment des questions d’argent, essaient de trouver une occupation, un milieu où ils puissent travailler, parce que ce travail est indispensable à la vie. Cette activité peut prendre des formes diverses et elle est aussi souvent mal comprise. Un mot qui a fait beaucoup de tort, c’est le mot d’ « éducation active » utilisé à tort et à travers : des livres, des manuels ont été publiés expliquant une « méthode active »… mais c’est toujours la méthode où le maître, au lieu de parler pose des questions et où il faut lui répondre, si bien qu’il y a en effet une certaine activité, mais c’est surtout celle du maître…

L’enfant aussi la manifeste, mais il très guidé. Si on lui pose une question, il est dans des limites, il ne peut répondre à côté, donc son activité n’est pas libre, elle est peut-être d’attention, de logique, de mémoire, etc. mais elle n’est pas créatrice, elle n’a pas valeur de formation et de développement. L’activité créatrice va de l’intérieur vers l’extérieur, elle crée un « produit » soit intérieur à l’individu, donc invisible, soit extérieur et visible. Cette création s’exprime dans n’importe quel domaine. En général, le mot « création » induit plutôt le domaine artistique : créer quelque chose à partir de rien, c’est splendide, c’est merveilleux. Mais la création peut être manuelle, familiale, sociale : quelqu’un qui se livre à un travail ingrat, même si celui-ci consiste à écrire des lettres ou à classer des objets mais dont le but a une résonance en lui : aider des prisonniers, faire progresser l’éducation, etc. un but qui vise à modifier quelque chose, par exemple faire marcher une organisation, s’il y croit et qu’il l’accomplit dans ce sens, son activité est créatrice et c’est celle-là que l’Éducation nouvelle considère comme formatrice et libératrice pour l’individu. Naturellement, ce type d’activité ne peut se réaliser que dans la liberté, c’est-à-dire à la fois sans que quelqu’un vous suive constamment, mais aussi dans une liberté de choix de ce que l’on veut faire et qui vous intéresse : l’école maternelle, lorsqu’elle est bien conçue, en est un exemple ; dans une bonne école maternelle, des activités sont mises à la disposition des enfants et ils peuvent choisir suivant leur désir, ce qui les intéresse.

Au moment où il y a choix, l’engagement de l’individu est beaucoup plus grand : c’est vrai pour nous, adultes ; si nous pouvons choisir notre métier, notre profession, nous nous y engageons, même s’il y a des moments difficiles ou des moments de déception ou des moments où nous avons l’impression de ne pas créer, mais nous nous y engageons vraiment parce que nous l’avons choisi, donc cela correspond à un désir qui vient de l’intérieur de nous-mêmes et qui, de ce fait, est profond.

On emploie beaucoup maintenant un mot qui a fait fortune : la « motivation ». Autrefois, on employait un autre mot : l’« intérêt » ; les fondateurs de l’Éducation nouvelle et leurs successeurs, ont donné une grande importance à l’intérêt ; Claparède par exemple, qui a beaucoup écrit sur l’activité, donne le nom d’intérêt au mouvement qui attire l’enfant vers l’activité et je pense qu’il y a une différence entre intérêt et motivation. Lorsque des mots nouveaux apparaissent, c’est qu’ils expriment une idée différente de celle du mot dont ils prennent la place. Être motivé pour une chose, ce n’est pas forcément éprouver un intérêt pour la chose elle-même, ce peut être un intérêt pour les avantages qu’elle procure. On comprend que les petites annonces de voyage dans les journaux emploient souvent le mot motivation. Par exemple, je peux avoir envie de faire un voyage parce qu’en ce moment j’ai une situation difficile, je ne m’entends pas avec ma famille, et je veux prendre l’air. Ce n’est pas forcément l’intérêt pour le voyage en tant que tel qui domine, mais plutôt la motivation. Nous avons déjà vu que la forme supérieure de l’activité est la possibilité de créer et on parle beaucoup de « créativité ». Les journaux annoncent des « stages de créativité ». Cet intérêt actuel est sans doute une réaction à une éducation qui enseigne surtout à recevoir, à accueillir ce qui vient de l’extérieur et non à agir en suivant le mouvement inverse qui nous pousse de l’intérieur vers l’extérieur. Le mot est d’ailleurs ambigu car on dit souvent indifféremment créativité ou création. La créativité est semble-t-il une attitude devant la chose à faire, quelle qu’elle soit, la création se rapporte plutôt au produit, que ce soit un objet ou toute autre production.

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Parmi les activités, celles qui mettent en jeu la créativité sont surtout les activités d’expression et l’Éducation nouvelle leur a donné une grande place. Ce n’était pas par innocence ou naïveté, ni seulement pour aider à la réussite des fêtes de fin d’année dans les écoles que nous avons proposé des activités d’expression, c’est parce que nous sommes convaincus qu’elles jouent un rôle de première importance dans la formation de l’individu. Ce rôle commence à être reconnu.

Comment expliquer ce que signifie l’expression ? Chacun de nous ressent des sentiments plus ou moins confus qui sont difficiles à éclaircir. Malaise général dont le motif nous échappe, sentiments de peur, de crainte d’angoisse parce qu’on va commencer un travail dans un milieu inconnu, faire une démarche qui coûte, dire à quelqu’un ce que nous n’osons pas lui dire. Au contraire, état de bien-être dans une situation de joie intérieure et d’espoir.

Comment nous exprimer ? La parole souvent ne suffit pas, l’enfant surtout n’est pas assez conscient de ces états ni assez maître de son langage pour les traduire verbalement. L’activité peut l’aider à se projeter hors de lui-même, à trouver l’apaisement, la vitalité que donne la réussite.

Lorsqu’un enfant fabrique un objet, par exemple en modelage, s’il se sent entièrement libre, s’il le fait à son propre rythme et sans craindre le jugement des autres, quelque chose de lui se trouve traduit. L’objet n’a sans doute pas de valeur pour d’autres, mais il en a une immense pour le « fabricant » puisqu’il y a eu pour lui une expérience très importante, une recherche du passage d’une sensation éprouvée à un objet : c’est pourquoi les enfants tiennent tant aux objets qu’ils ont fabriqués, que ce soit un cerf-volant, un dessin, une peinture. Ces objets représentent une part d’eux-mêmes. En tant qu’éducateurs, nous ne savons pas toujours les lire et y attacher un prix suffisant. À propos de l’activité, pensant que vous vous disiez peut-être : « que peut-on faire dans une classe ? », j’ai eu l’idée de vous proposer l’extrait d’un texte qui a été écrit par une jeune femme, ancienne élève d’une école nouvelle, aujourd’hui professeur dans un CES.
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« Je vais essayer de raconter comment les années que j’ai vécues à l’école marquent encore actuellement ma vie d’enseignante. L’idée, le fait qu’il ne faut pas interrompre un intérêt naissant. Nous n’avions pas de programme, nous travaillions très librement, quand nous découvrions un centre d’intérêt, nous le poursuivions jusqu’au bout.

En math par exemple, comment se fabriquent les nombres, la numérotation. Jamais on n’aurait eu l’idée de nous dire « maintenant que tu sais compter jusqu’à 100, on va passer à autre chose ». Compter jusqu’à 100, avec le matériel de Montessori qu’on utilisait, c’était découvrir comment compter jusqu’à 1000, c’était découvrir le principe des divisions et des additions, et comme nous nous passionnions pour les divisions, nous faisions des divisions de plus en plus grandes et de plus en plus difficiles.

Je m’étais passionnée pour les triangles. Pendant des jours et des jours j’avais dessiné des triangles. Je voulais découvrir toutes les formes de triangles possibles : isocèle, équilatéral, rectangle, quelconque, et à travers chaque catégorie je cherchais à faire les triangles « semblables », je ne connaissais même pas le mot.Quand j’avais découvert une forme de triangle rectangle, je le faisais très grand, moyen, petit, minuscule et c’était toujours ainsi : le grand, le moyen, le petit, le triangle isocèle, le grand, le petit, le minuscule, c’étaient toujours des triangles semblables.

Puis je cherchais à enrichir cette notion des différentes formes de triangles, et je cherchais dans les triangles les droites remarquables, les hauteurs, par exemple…Je reprenais alors mes différents triangles et je mettais à chacun leurs trois hauteurs. Je me souviens très bien d’un jour où j’avais construit un triangle qui avait un angle obtus, le point de rencontre des hauteurs était à l’extérieur. Cela me troubla. Il était midi, j’ai poursuivi le professeur dans l’escalier : elle était en train de mettre son manteau et je lui ai demandé« Est-ce que c’est juste ? Est-ce que je l’ai bien construit ? » J’étais étonnée, en fait, j’avais découvert moi-même que le point de rencontre des hauteurs était à l’extérieur… ». Je trouve qu’il est intéressant de voir comment on peut travailler justement dans une école où on n’a pas toujours l’idée qu’on « perd du temps » : une des idées fondamentales de l’Éducation nouvelle, est qu’il faut laisser aux enfants le temps de faire ce qu’ils veulent, qu’il ne faut ni les bousculer, ni les interrompre, qu’un travail laissé à midi peut se reprendre à 2 heures...

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