L’hygiène en collectivité, des identités culturelles à conjuguer
Pour certaines personnes, dans certaines familles il est mieux de faire comme ci ou comme ça. Les habitus ont la vie dure et peu à peu deviennent quelque chose d’immuable qui s’installe et vire à la doctrine et à la certitude. Chez untel ou unetelle on ne prend pas une douche tous les jours, chez d’autres on peut faire pipi sous la douche pour économiser l’eau. Personne n’a tout à fait la même conception du propre et du sale. Et lorsqu’il s’agit de vivre en bonne intelligence dans un même lieu il est important d’en parler afin d’harmoniser les règles en tenant compte du passé et du présent de chacun dans le domaine de l’hygiène. Tout est une question de culture familiale.
Les enfants ont récupéré leurs valises et sont en train de s’installer dans leur chambre. J’aide Karim à ranger ses affaires dans son armoire et vérifie le trousseau avec lui. Je constate que pour huit jours de colo, il ne dispose que d’un pull et de deux pantalons. À mes interrogations, il répond simplement que, chez lui, il n’en change qu’une fois par semaine. Cette explication choque son voisin de lit, Aaron, qui met tous les jours un pullover et un pantalon propres... ce que sa valise confirme ! Je tente d’engager une discussion avec les deux enfants : comment se rendre compte qu’un vêtement est sale et qu’il faut en changer ? Après avoir fait du sport, qu’est- ce que je fais de mon jogging et de mon maillot ? Qu’est-ce qui se passe si je tache un habit ? Et si un vêtement ne me semble pas sale, où vais-je le poser pour pouvoir le porter à nouveau demain ? J’explique aux deux enfants qu’il y a une machine à laver le linge au centre et que s’ils en ont besoin, ils peuvent venir me chercher.
L’hygiène est personnelle
Le lendemain matin, je remarque de nombreuses autres questions. Nasser m’explique qu’il prend sa douche le matin d’habitude et qu’il aimerait faire pareil en colo. J’entends Rania rouspéter car l’animatrice référente de sa chambre l’a obligée à changer de tee-shirt ce matin, alors qu’à la maison elle le garde toujours deux jours de suite. Etienne ne comprend pas que le centre de vacances impose un lavage de dents après le déjeuner, car chez lui il se lave les dents uniquement le matin et le soir. Charlotte m’avoue que la nuit dernière, Aysegul, sa camarade de chambre, s’est moquée d’elle car elle a mis une culotte propre pour dormir. Un peu plus tard, c’est Aysegul qui vient me voir pour me demander de convaincre Charlotte de se laver les cheveux, parce que ceux-ci sont gras. À table, j’entends Julie demander à ses camarades pourquoi, après le petit déjeuner, la fenêtre de sa chambre était ouverte et toutes les couvertures déployées au bas des lits. Elle ne devait pas être habituée à ce que l’on aère sa chambre et était visiblement gênée qu’un adulte ait pu voir ce qu’il y avait sous sa couette : un pipi au lit ? une culotte non rangée ? un carnet intime ? un doudou ? Plus tard, dans la journée, Sara, paniquée, m’interpelle. Ses chaussures ont disparu. Une rapide enquête m’informe qu’un animateur les a trouvées dans le couloir et les a rangées dans sa chambre. Sara ne comprend pas : « Chez moi, on met toujours les chaussures à aérer à l’entrée des chambres ! » En respectant ses règles d’hygiène, elle a été perçue comme une enfant désordonnée et cela semble la chagriner. Juste après les douches, avant le dîner, Karim vient me trouver. Il a remarqué qu’Aaron n’avait pas pris sa douche quotidienne et commente : « Je comprends pourquoi il met des vêtements propres tous les jours : c’est pour cacher que son corps est sale ! » Interrogé à ce sujet, Aaron hésite à m’avouer, certainement de peur d’être puni, avoir esquivé la douche. Finalement, il m’explique que chez lui, on prend une douche tous les deux ou trois jours ; en revanche, il se lave le visage au savon tous les matins.
Propre ou sale tout est relatif
Après le coucher des enfants, au cours de la réunion d’équipe, un animateur rapporte qu’il a piégé un garçon en train de faire pipi sous la douche, et il l’a donc puni. À mon tour de ne pas comprendre : c’est ce que je fais à la maison, pour économiser l’eau ! Avec en tête les multiples exemples de la journée, je propose à l’équipe un petit sondage sur nos règles d’hygiène entre adultes : à quelle fréquence changeons-nous nos draps de lits ? nos serviettes de toilette ? Qui prend sa douche une fois par jour ? trois fois par jour ? une fois tous les trois jours ? Qui lave séparément ses torchons de ses vêtements ? Qui utilise deux éponges distinctes pour faire la vaisselle et pour nettoyer la table ? À qui est- il déjà arrivé de laisser traîner un vêtement sale dans sa chambre ? Qui lave régulièrement ses poignées de porte, clés et interrupteurs, réputés être de grands nids à microbes ? Comme je m’y attendais, personne n’a tout à fait la même conception du propre et du sale, personne n’a les mêmes degrés de tolérance, personne ne nettoie, ni ne salit d’ailleurs, de la même manière. Je fais remarquer que dans l’esprit de nombre d’entre nous, les bonnes odeurs sont aussi importantes que la véritable désinfection. Partis de ces constats au sein de notre équipe, nous les étendons aux enfants accueillis, à leurs familles, nous relisons les consignes dites réglementaires de l’organisateur ou de la direction...
Pour ma part, je déclare préférer des salissures naturelles visibles à des produits dits « hygiéniques » qui s’avèrent finalement être nocifs pour notre métabolisme ou notre environnement. Les parents peuvent comprendre ces arguments. Un jour, un parent récupérant son enfant couvert de boue à la fin d’une journée de centre de loisirs me dit en souriant : « Ce n’est pas vraiment sale après tout ; ce n’est que de la terre. »