Le temps de vivre et d'apprendre

A travers le récit d'une journée passée dans une école rurale, réfléchir sur le temps des apprentissages et la place des enfants dans l’institution scolaire
Média secondaire
Une journée ordinaire dans une école rurale de deux classes à Vassieux en Vercors, où vivent et apprennent ensemble vingt-cinq élèves, de la petite section de maternelle au CM2. Le récit de ces moments de vie amène à une réflexion pédagogique sur le temps des apprentissages, la place des enfants dans l’institution scolaire, le rôle des adultes et le plaisir d’apprendre avec d’autres.
Cemea

S’approprier l’école

Il y a parfois des petits détails qui sont représentatifs d’une ambiance et d’un état d’esprit. En classe, certains enfants ont aux pieds des pantoufles douillettes, d’autres marchent en chaussettes. Il y en a aussi, qui ont tout simplement gardé leurs chaussures. Cela pourrait paraître anecdotique et sans intérêt, pourtant cette simple situation matérialise la prise en compte du bien-être et de la personnalité de chacun, ainsi que celle des réalités d’un milieu de montagne comme le Vercors. Tous les enfants n’ont pas forcément les mêmes besoins, ni les mêmes intérêts.

Se sentir bien, être à l’aise, ne pas avoir froid aux pieds font aussi partie des variables didactiques.

L’attitude des enseignants et l’organisation mise en place ont permis aux élèves de s’approprier l’école. Un lieu sécurisant et propice aux apprentissages, dans lequel on les sent « chez eux ».

L’attitude des enseignants et l’organisation mise en place ont permis aux élèves de s’approprier l’école. Un lieu sécurisant et propice aux apprentissages, dans lequel on les sent « chez eux ». Dès l’arrivée échelonnée des enfants dans la classe, je perçois une forme de plaisir à se retrouver dans ce lieu inclusif, à la fois repère et repaire, avec des fonctionnements très différents selon les groupes et les individus : discuter, regarder des livres, commencer à s’installer, tester une catapulte à élastique, jouer à se repérer sur une carte murale à l’aide d’une baguette… Durant les activités purement scolaires qui suivent, il y a une forme de participation sereine et d’autonomie dans les attitudes et les habitudes des enfants pour organiser leur travail, coopérer, se déplacer si besoin, aller chercher du matériel dans une armoire, des gros feutres sur une étagère, un dictionnaire à la bibliothèque, aller voir l’enseignant en cas de difficulté… ou changer de position simplement pour se détendre…. Tout cela de manière autonome, plutôt silencieuse et en prenant en compte les autres et l’espace. L’autonomie des enfants se remarque aussi dans la gestion de leur temps, à l’intérieur de l’espace classe, lorsqu’ils ont terminé un travail programmé. Si certains élèves restent à leur bureau pour se replonger dans des activités diverses, d’autres se retrouvent confortablement installés, sur un des canapés des coins biothèques se trouvant dans chaque classe, pour lire individuellement ou à plusieurs, s’entraider à apprendre une poésie… rêver ou réfléchir.

Durant la récréation, des situations diverses se mettent en place, se mêlent et évoluent. Les enfants se retrouvent au-delà de la structure classe. Certains jouent un moment avec des plus petits ou des plus grands, avant de se regrouper autrement pour un nouveau jeu. D’autres restent plutôt avec ceux de leur âge pour jouer ou discuter. Par petits groupes ou individuellement, les enfants vont chercher dans le garage des seaux, des brouettes, des trottinettes…. Un matériel, qui après avoir été utilisé, est naturellement rapporté dans son lieu de stockage. Je pense que pour l’ensemble de ces comportements, la notion de temporalité et la constitution des groupes sont importantes.

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Prendre le temps de la relation et des apprentissages

L’organisation de cette école à deux classes, accueillant tous les niveaux est représentative de communautés de vie, que l’on retrouve dans le quotidien, avec les fratries, les familles, les voisins et tous les autres groupes qui ne sont pas structurés par rapport à des âges stricts, comme c’est souvent le cas dans le milieu scolaire. Les enfants y cohabitent et s’y construisent au fil du temps dans un environnement commun représentant une forme sécurisante à la fois de projection et d’ancrage.

Ici, les élèves ont le temps devant eux. Ils intègrent, apprennent et font évoluer des comportements de long terme, en fonction de règles communes et par expérience.

Les petits voient les grands s’organiser, travailler, ranger… Des fonctionnements se mettent en place et se construisent tranquillement et naturellement.

 

Souvent à l’école, on a l’impression de courir après le temps. Un temps fractionné en années scolaires et qui joue contre tous. Pour les enseignants, manque de temps pour connaître le groupe et s’adapter aux besoins de chacun ; pour les enfants manque de temps pour se situer et pour apprendre à son rythme. Dans cette structure d’école rurale à deux classes, on a le sentiment qu’à l’inverse, le temps est un facteur positif. Ici, la notion de cycle et la prise en compte du rythme d’apprentissage et des besoins spécifiques de chacun deviennent une réalité. Une réalité qui influe sur les comportements des enseignants et des enfants.

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Certaines des situations vues pendant ces quelques heures passées dans les deux classes, en sont de mon point de vue représentatives. Chez les petits, ce matin-là, une des enfants n’avait pas dû « se lever du bon pied ». Elle n’était pas au mieux de sa forme et avait tendance à se renfermer. L’enseignante s’aperçut tout de suite de cet état de fragilité inhabituel. Elle lui attacha une attention particulière jusqu’à ce que cela aille mieux. Elle prit plus de temps pour elle, lui parla, l’accompagna davantage dans certaines tâches. Instinctivement, lorsqu’elle passait près de l’enfant, elle lui adressait un sourire de soutien ou posait une main rassurante sur son épaule. A un moment où elle la sentit en difficulté, elle la prit même au bras durant quelques secondes, tout en continuant son accompagnement à d’autres élèves. Cette attention particulière dura jusqu’à ce que la petite fille retrouve son autonomie et son attitude habituelle dans la classe.

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Mais il n’y eu pas que l’enseignante à être à l’écoute. L’ATSEM vint aussi à un moment aider plus spécifiquement la petite fille et un des enfants lui apporta également son soutien. Ces relations multiples de bienveillance et de prise en compte de l’autre sont facilitées par une connaissance des enfants qui se construit dans une perspective de long terme et de globalité. Les apprentissages mêlent les contenus et l’affect et il y a des moments où les priorités sont relationnelles. Cet exemple pourrait être complété par bien d’autres situations d’adaptation aux besoins des enfants dans l’accompagnement affectif et scolaire de leurs réussites et de leurs difficultés.

Dans les deux classes, quel que soit l’âge et le niveau, les enseignants cherchent à prendre en compte les besoins des enfants avec leurs facilités, leurs difficultés, leur rythme dans les apprentissages pour essayer de les mettre en réussite dans le travail entrepris. Pour les plus grands, utiliser le dictionnaire, les livres de français, les outils élaborés en classe… ou la collaboration entre élèves pour réussir à écrire juste. Pour les plus petits, tracer des figures géométriques dans le sable, sur une ardoise ou sur une feuille pour permettre des réussites progressives et adaptées... Dans les deux classes, selon les moments, certains élèves bénéficient d’une attention et d’une aide plus ciblée des adultes et d’autres travaillent dans une forme d’autonomie, facilitée par une organisation et des outils d’apprentissage. Les enseignants apprennent et ont appris à connaître les enfants et à avoir confiance dans leurs capacités de progresser, car ils ont le temps devant eux. « Cela me fait plaisir, car il commence à dire quelques mots en français… » Cette remarque d’enseignant concernant un des enfants syriens fréquentant l’école depuis peu est représentative de cet état d’esprit.

L’enfant est considéré en fonction de ses progrès et d’un devenir qui se situent dans un temps qui dépasse les attendus d’une année scolaire.

Les relations entre enfants sont également impactées par ce fonctionnement de classe, alliant des âges différents et la prise en compte des différences avec une autonomie collective. Durant ces quelques heures passées dans l’école, j’ai vu des enfants s’entraider dans leur travail, des groupes continuer à chercher et à s’interroger sur une problématique en cours, proposant, se contrariant, expliquant sa position aux autres, manipulant pour démontrer…

Cette immersion dans la réalité quotidienne de cette école du Vercors, nous renvoie au rapport au temps et à une efficacité de court terme généralement demandée à l’école. On entend souvent parents et enseignants dire qu’ils préfèrent les classes à un seul niveau, avec comme argument le fait que les apprentissages sont plus ciblés, que cela est plus facile à gérer pour l’enseignement, que l’on se disperse moins et que l’on a davantage de temps à consacrer aux enfants. Pourtant la réalité de ces petites écoles rurales et de ce qu’elles induisent en ce qui concerne les apprentissages vient à l’encontre de cette vision tayloriste et encadrée de la progression des enfants. L’infrastructure de cette école rurale, prenant en charge tous les niveaux scolaires, facilite une véritable mise en place des cycles. Ce fonctionnement permet de pouvoir prendre le temps de connaître et faire évoluer les enfants, avec des exigences bienveillantes et adaptées à chacun. Le temps vers une autonomie tranquille, qui se construit jour après jour. Une école, lieu de vie, d’éducation et d’enseignement, qui donne du sens à ce qui est construit et appris, en lien avec la réalité des élèves.

Et si les cycles se mettaient vraiment en place dans toutes les écoles et que l’on osait donner aux enfants le temps d’apprendre.


Vers l'Education nouvelle (n° 584  janvier 2022)