La convivialité, la faute de l'orthographe

Chronique sur le livre que devraient lire tous ceux qui affirment que le niveau baisse et qu’avant on écrivait mieux.
Média secondaire
Cemea

La Convivialité

La faute de l’orthographe

 

Texte : Arnaud HOEDT, Jérôme PIRON

 

Illustrations : Kévin MATAGNE

Illustration de couverture : Roland TOPOR

éditions : Textuel 2017

 

Amusant, impertinent et agissant comme un aiguillon envers cette divinité que constitue l’orthographe pour les français, ce livre remet en perspective les réalités, l’histoire et l’idéologie de ce dogme. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron resituent l’orthographe à sa place initiale, celle d’un outil, d’un code graphique permettant de transmettre et de retranscrire la langue orale. Ils osent alors poser la question iconoclaste pour les millions d’adeptes ayant été initiés par l’école au saint des saints orthographique. « Si l’orthographe est un outil, est-ce un bon outil ? »

 

Le livre pointe avec beaucoup d’humour les aberrations, contradictions et exceptions multiples et souvent incompréhensibles, dont est constituée notre orthographe et au sujet desquelles, nous avons été habitués à ce constat : « c’est comme ça ! » sauf pour les homophones pour lesquels les enseignants se plaisent à justifier avec logique aux enfants que la juste orthographe permet de ne pas faire d’erreur de sens. Mais, les auteurs nous rappellent qu’un mot se lit toujours dans un contexte et que si nous voyons écrit « J’ai loué le Seigneur, personne ne s’interrogera sur le prix du loyer ». Le grand intérêt de ce livre est qu’il ne se contente pas de se moquer de ces étrangetés, il les resitue dans un contexte historique de la langue, tels les pluriels en « x », dont nous percevons l’évolution à partir de l’abréviation des « us » faites par les moines copistes, jusqu’à ce qu’elle soit transformée avec une forme de redondance et gravée dans le marbre académique. Souvent à la question « pourquoi ?» que posent les enfants, la réponse qu’ils reçoivent est « comment ne pas faire la Faute». Faute avec un grand « F », car les mots ont un sens et l’utilisation d’un vocabulaire religieux entaché de pêché pour évoquer l’erreur orthographique n’est pas neutre.

La convivialité ou la faute de l’orthographe, nous rappelle que l’écriture des mots n’a cessé d’évoluer et que l’on n’attribuait pas par le passé une grande importance à la forme graphique. On trouvait des mots écrits différemment selon les éditeurs et même parfois au sein du même livre. Et aujourd’hui, un enseignant parsèmerait sans doute les textes de Molière ou de La Bruyère de traits rouges redoublés, avec pour conséquence des points enlevés à cause de l’orthographe. Ce qui prouve bien que la langue n’est pas à confondre avec son vecteur graphique. Les auteurs nous rappellent également le contexte politique dans lequel la volonté de normer la forme écrite de la langue a été actée par la création de l’Académie française, dont le document préparatoire au premier dictionnaire stipule: l’’orthographe servira à «distinguer les gens de lettres d’avec les ignorants [sic] et les simples femmes ». Une norme orthographique renforcée à partir du XIXème siècle comme ciment de la nation, dans une logique d’ordre social républicain basé sur la méritocratique. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron s’attaquent aussi avec malice et jubilation à l’argument des racines de notre histoire que véhiculerait l’orthographe. Des racines souvent choisies dans les civilisations grecques et romaines, ce qui est quand même plus « classe », que celles des autres apports linguistiques. Tel le nénuphar, qui vient de l’arabe et pour lequel, les académiciens n’avaient aucune raison étymologique de mettre un ph au lieu d’un f, si ce n’est de lui donner une apparence grecque.

Ce livre n’appelle pas à une réforme radicale de l’orthographe, dans laquelle les mots s’écriraient phonétiquement. Il pointe la richesse de la forme écrite du langage, mais amène à réfléchir à une évolution de ce code graphique pour lui redonner le rôle et la force d’un outil au service de la langue, de son histoire, des idées qu’elle peut véhiculer et de l’humain. Une réflexion décryptant le titre principal de ce livre, La convivialité. « Quand un outil n’est plus au service de l’homme, mais que c’est l’homme qui est au service de l’outil, cet outil a alors dépassé ce que l’on appelle le seuil de convivialité. » La convivialité est un livre drôle, rafraichissant et intelligent, que devraient lire tous ceux qui affirment que le niveau baisse et qu’avant on écrivait mieux.

Je dédie cette chronique aux parents et aux enfants qui, lorsque j’étais enseignant en école primaire, sont un jour venus me demander pourquoi je ne faisais pas faire de dictées.

-Ce livre est issu du spectacle « La convivialité » : https://www.laconvivialite.com/

-Arnaud Hoedt et Jérôme Piron ont également assuré une émission sur France Inter : https://www.franceinter.fr/emissions/tu-parles

 


Vers l'Education nouvelle (n°576, octobre 2019)

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