LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Intégrations

Une directrice adjointe de CLSH en fauteuil roulant sur un premier stage pratique face à une double expérience d'intégration, la sienne et celle d'une enfant handicapée mentale
Média secondaire

Pour mon premier stage pratique BAFD, j'ai été embauchée comme directrice-adjointe d'un CLSH primaire de 80 enfants pour le mois d'août. Je suis en fauteuil roulant, suite à une myopathie, totalement dépendante physiquement d'une tierce personne. À l'année, je forme des animateurs, je les sensibilise à l'accueil d'enfants et adolescents handicapés en centre de vacances et de loisirs.


Accueil d'une fillette handicapée mentale

Peu de temps après mon recrutement, le service municipal de l'enfance mit l'équipe de direction devant le fait accompli : nous accueillerions pour sa première expérience de vacances en milieu ordinaire, une fillette handicapée mentale âgée de sept ans. Ni la directrice ni moimême n'avions eu de contact avec l'établissement spécialisé dans lequel elle était scolarisée toute l'année en demi-pension. Nous savions que ses éducatrices avaient rencontré une responsable du service en mairie, mais nous n'avions aucun dossier, aucune trace d'un projet d'intégration.

Le discours de la maman

J'entrepris donc de contacter la mère de l'enfant. Cette dernière me communiqua quelques éléments qui ne se vérifièrent pas forcément par la suite :
– Elle présentait deux comportements différents. Elle n'était pas obéissante avec sa mère, mais elle l'était avec les autres, à condition que l'on hausse le ton ;
– elle ne parlait pas couramment mais demandait « pipi » ;
– elle s'isolait parfois, boudait ;
– elle n'écrivait pas, coloriait en débordant ;
– elle raisonnait peu ;
– elle mangeait salement, dans le désordre, ce qu'elle aime, sans respecter les règles.
– elle aimait le dessin, la musique, le mime, et elle passait constamment d'une activité à une autre (zapping) ;
– ayant vécu quatre ans au Cameroun, elle pouvait être intéressée par le thème de l'Afrique.
Je retenais surtout que l'enfant était sociable, mais avait du mal à se concentrer et à communiquer.

 

La réalité de l'expérience d'intégration

L'équipe de direction sans dossier médico-éducatif, sans projet d'intégration en amont, ne transmit à son équipe pratiquement aucun élément, et nous observâmes tous la fillette la première semaine. La réalité semblait différente du discours maternel :
– Elle ne s'enfuyait pas, alors qu'elle prenait constamment la fuite par jeu pour défier les adultes ;
– elle ne mangeait pas salement, mais elle mangeait simplement les plats dans le désordre ;
– elle ne parlait pas, alors qu'elle disait couramment : « Bonjour, bonsoir, merci ».
Nous nous sommes rendu compte en fin de séjour que, sur du long terme, nous aurions pu involontairement favoriser la « régression » de cette fillette en matière d'éducation et de politesse. Dans son établissement, la fillette passant ses journées avec d'autres enfants porteurs de différents types de handicaps (classes de 5-6 enfants), elle était sociable mais se montra sur le centre, volontaire, agressant quelque peu (griffures, morsures) les adultes qui l'empêchaient de faire ce qu'elle voulait quand elle le voulait. Elle se sauvait par jeu face à beaucoup de liberté, d'espace, et de nouvelles personnes.

La place de l'adjointe en fauteuil roulant

Moi, l'adjointe handicapée, je paraissais aux yeux de l'équipe, investie d'un « pouvoir » particulier, celui de « savoir » intégrer une personne handicapée. L'équipe cherchait en effet à se rassurer et à trouver des connaissances spécialisées auprès d'une autre handicapée. L'équipe de direction a donc choisi de travailler sur la question du handicap en faisant d'abord réfléchir les enfants sur la place de la directrice-adjointe et sur son handicap moteur, sur la place de l'accompagnant qui poussait le fauteuil, lui donnait à manger, et l'assistait dans ses tâches de direction, puis sur le handicap mental de la fillette. « Elle n'est pas finie dans sa tête », disaient certains. « Elle mord, elle griffe », disaient d'autres « mais si on lui fait des bisous, elle est très affectueuse ». Il est primordial de répondre aux questions des enfants, donc de créer un climat dans lequel ils se sentent autorisés à les formuler, ce qui permet de dédramatiser le handicap et ses tabous.

 

Ses conditions d'exercice

Pour que la directrice adjointe en fauteuil roulant puisse exercer ses tâches de direction et se déplacer dans le centre et à l'extérieur, il fallait que quelqu'un l'accompagne. Elle avait donc un animateur-accompagnateur du matin au soir qui effectuait les déplacements domicile- travail-extérieur, qui poussait son fauteuil, l'aidait à prendre ses repas, et l'aidait à accomplir ses tâches administratives de direction : téléphone, secrétariat, cahier de comptes. Il faut aussi travailler sur les représentations du handicap. Celles des enfants sont plus faciles à expliciter car ils posent spontanément des questions. Ils acceptent les différences quand ils les ont comprises et que leur curiosité est satisfaite.

 

En ce qui concerne les adultes, l'état d'esprit est différent. La peur prédomine et il faut rassurer, encourager, pousser à observer la fillette. Lorsque s'est posée en fin de séjour, la question de son accueil régulier au CLSH, l'équipe a été réticente. Une monitrice éducatrice travaillant sur un autre groupe plus âgé, et ayant suivi la fillette uniquement sur une activité avait décrété qu'elle agressait physiquement les autres, était donc dangereuse pour la collectivité, que le zapping d'une activité à l'autre était néfaste à la structuration du groupe... En fait, elle était adepte de la production matérielle dans les activités.
Et une fillette qui prend plaisir à être avec les autres, à s'amuser sans produire d'objet à rapporter aux parents n'est pas conforme à ce que l'animatrice attend d'elle. La fillette utilisant les outils pointus ou tranchants avec prudence et n'agressant jamais un enfant, elle n'était à mon sens pas dangereuse. Mais cet avis a suffi à partager l'équipe et à fournir des arguments défavorables à son maintien régulier en CLSH, la directrice se ralliant à l'avis de l'animatrice.
L'animateur supplémentaire, mon principal allié, a fourni des arguments favorables à une réelle tentative d'intégration et allant dans mon sens. Lui, avait compris les objectifs de cet accueil en milieu ordinaire puisque nous en avions largement débattu lors de l'entretien d'embauche.

Évaluation

N'étant plus sollicitée par la suite concernant l'accueil régulier de cette fillette, j'ai rédigé une évaluation, un bilan pour les acteurs de sa scolarité et le responsable habituel du CLSH, en vue de favoriser un réel projet d'intégration. Notre point fort fut, dès le début du séjour, d'avoir sensibilisé les enfants et l'équipe, à deux types de handicap : moteur et mental. Nous avons fait tomber un certain nombre de représentations, délié les langues, favorisé des questionnements, ainsi que des confidences d'enfants qui étaient eux-mêmes en difficulté dans leur histoire personnelle. Grâce à cette action, la directrice-adjointe a été pleinement acceptée dans son rôle et ses fonctions par l'ensemble de l'équipe et par les enfants. Elle a impulsé « un autre regard », une façon de découvrir et d'accepter les handicaps comme des différences. Une solidarité s'est développée entre les enfants à l'égard de la fillette handicapée. Peureux, ils se sont mis à alerter les animateurs que l'enfant prenait la fuite, puis prenant confiance, ils se sont organisés pour se lancer sur ses traces et la ramener. Cette expérience d'intégration fut particulièrement enrichissante pour les uns comme pour les autres, et nous souhaitons que l'expérience puisse être reconduite avec, cette fois-ci, un réel projet d'intégration.


Cet article est issu du Dossier 24 des Cahiers de l'animation Accueillir la différence