Sécurité et bon sens
Assis sur les rochers, nous profitons de la chaleur pour terminer de sécher après une baignade qui nous amené·e·s à côtoyer quelques poissons. Le temps est splendide. Pas un nuage, la mer est calme et un soleil éclatant brille au-dessus de l’eau. Je contemple paresseusement ce paysage, lorsque mon regard est attiré par de petites embarcations qui longent la côte et se rapprochent doucement de nos rochers. Des ados en canoë naviguent là où l’eau est peu profonde. Les consignes ont dû être strictes car les bateaux naviguent en formation serrée. Au fur et à mesure qu’il·elle·s se rapprochent, je les distingue mieux.
Une sortie en canoë
En tête, avec son embarcation, un animateur les guide. Chaque rameur·se porte un gilet de sauvetage. Les jeunes avancent vers l’endroit où nous nous séchons et se regroupent. L’animateur leur impose un temps de repos. Ils·elles restent donc tous·tes là pendant un moment à discuter dans leurs canots ondulant au rythme des vaguelettes puis, reprenant les pagaies, repartent.
La prise en compte de la sécurité est maximale : gilets de sauvetage, mer calme, eau peu profonde, embarcations proches en cas de problème, temps de repos. Tous les dangers liés à l’activité nautique ont été pris en compte. Rien ne doit pouvoir arriver...
La seule ombre à ce tableau, 100% sécurisé, est qu’aucun·e de ces ados ne porte de chapeau ou de casquette. Statistiquement, le risque d’être victime d’une insolation en passant plusieurs heures, assis dans un bateau, sous un soleil de plomb réverbéré par la mer, est beaucoup plus important que celui découlant d’un chavirage dans une mer paisible et aussi près de la côte, pour un·e jeune ayant obligatoirement passé un test de natation. Pourtant, si l’un est pris en compte de manière extrême, l’autre est totalement ignoré. Paradoxe étonnant ! Il est vrai que si une noyade dans une collectivité est couverte par les médias nationaux, les coups de soleil le sont rarement.
Cet état de fait aurait-il conduit à une classification des risques dans l’inconscient collectif ? Voilà une scène qui nous interroge sur le sens et la prise en compte de la sécurité, notion relevant à la fois du domaine physique et affectif.
Prévenir des situations de dangers spécifiques ou des risques plus habituels en adaptant les conditions et les comportements
Actuellement, on assiste parfois à la mise en place d’éléments de sécurisation ostentatoires, voire décalés par rapport au risque, avec des enfants ne pouvant plus faire un tour de vélo ou de trottinette sans se retrouver en armure des temps modernes. Certes, ces activités peuvent, selon les conditions de pratique et le public, nécessiter un tel équipement. Mais lorsque cela se passe sur le terrain d’un centre de vacances plat, clôturé, sans voiture, en tout petit groupe, avec des enfants sachant rouler… Cette mise en avant sécuritaire répond-t-elle à une réelle prise en compte du danger ou à une logique d’image et d’argument publicitaire du type : « Voyez, vos enfants ne risquent rien »?
Vers l'Education nouvelle n°575, juillet 2019