Des coins pour tout, tous et toutes
En crèche, en multi-accueils, dans les centres de loisirs ou de vacances, à l’école, les aménagements des locaux, de l’espace en de multiples coins aussi divers que possibles vont permettre aux enfants de vivre de nombreuses opportunités d’instants de jeux. Ils vont pouvoir imiter, faire semblant et visiter toutes les occurrences des jeux symboliques en toute sécurité. La place des adultes est prépondérante, souvent observateurs et observatrices, parfois au cœur des échanges ludiques, leur rôle est avant tout d’être disponibles, présent·e·s mais discret·ète·s et d’observer, de veiller à ce que les coins installés soient rangés mais pas trop, qu’ils répondent aux besoins des enfants accueillis et qu’ils soient en accès libre ou animés par un adulte. Les enfants peuvent à loisir, transvaser, jouer à la marchande, se prendre pour un·e docteur·e ou pour un·e peintre, pour Lewis hamilton et manier des marionnettes et d’autres choses encore autour des livres, de la cuisine et des poupées. Ouvert ou fermé le coin peut évoluer selon des règles claires et bien précises. Les coins sont une condition sine qua non d’un accueil de qualité.
Dans la salle des 3-5 ans du centre de loisirs maternel, des coins permanents ont été installés au début de l’année. On y trouve des tapis, une étagère avec quelques livres, des coussins. Il y a aussi le coin dînette et poupées qui côtoie les jeux de construction et les petites voitures. Les espaces sont délimités par quelques petites étagères sur lesquelles sont posés des bacs à jouets. Dans le fonctionnement de ce petit centre de loisirs, les coins permanents sont des espaces de transition pouvant faciliter et favoriser l’accueil de l’enfant, son intégration dans le groupe. Ils sont également investis par l’enfant lors d’un moment d’attente principalement avant et après le repas, et en fin d’après-midi. Dans la journée, ils sont une alternative aux propositions d’activités faites par les adultes auxquelles l’enfant ne voudrait pas participer, une solution pour ne pas laisser les enfants « ne rien faire ». Les adultes quant à eux ont installé ces espaces en début de session mais n’y reviendront pas sauf pour ranger avant la fermeture du soir. Chaque matin, les enfants se dirigent spontanément vers ces espaces identifiables et connus. Les caisses sont vidées, les jeux, les jouets, les pièces de puzzle se retrouvent un peu partout sur le sol. Les enfants jouent tandis que les animateurs préparent une activité manuelle, installent le goûter, ou observent la scène de loin. Puis en fin de matinée et d’après-midi les adultes rangent et sollicitent l’aide des enfants. Pas le temps de trier. Dans les bacs, la petite vaisselle en plastique, les pièces de jeu, les vêtements de poupées se mêlent aux figurines éparses. Au cours du séjour, une partie du matériel est perdue ou cassée, les coins « permanents » perdent de leur attrait et de leur intérêt. En quelque sorte, ils font partie du paysage. Le coin permanent semble réduit à une sorte d’alternative, pour passer le temps, pour patienter, pour jouer quand on n’a pas envie de suivre l’animateur dans ses propositions. Sans doute peut-il être bien plus que cela.
Ranger ?
Faire évoluer les coins permanents, les revisiter régulièrement est une condition pour maintenir un cadre propice au jeu ; ranger c’est créer un espace de jeu neuf où tout est de nouveau possible, où l’on peut créer. Les enfants d’âge maternel ont besoin d’être accompagnés pour ranger, pour saisir le sens des espaces, identifier et comprendre ce que l’adulte a mis en place. Des boîtes, des caisses, des étagères accessibles, étiquetées, agrémentées de symboles aident à identifier la place de chaque jeu, de chaque jouet, de chaque accessoire. Les cloisonnements qui peuvent être installés à l’aide de tentures, cartons, petites barrières, ou en « coupant » l’espace avec un meuble, aident également à la reconnaissance de chaque espace, limitant le mélange des pièces de jeu et de matériel.
Le rangement est utile mais il doit permettre quand même de conserver des installations (une tour, un château en cube, des bonhommes) d’où repartira le jeu plus tard. Ranger systématiquement les coins plusieurs fois au cours de la journée finit par empêcher les enfants de vivre le jeu et de le poursuivre dans le temps. De même, les cloisonnements facilitant les petits groupes et l’intimité ne sont pas des frontières infranchissables et il est probable que la dînette ira voyager au coin « marchande ». Les enfants aiment détourner les objets et c’est là toute l’essence du jeu symbolique.
Des coins de jeu adaptés à leur usage
Chaque espace a sa fonction et l’aménagement doit être réfléchi pour cela. Le coin calme plus calfeutré, plus intimiste, plus excentré dans la salle. Le coin construction où l’on dresse des tours, des châteaux ou autres constructions doit disposer d’une place suffisante pour tout faire dégringoler, pour s’y mettre à plusieurs. Il est souhaitable qu’il ne côtoie pas le coin calme. Le coin des voitures et véhicules doit permettre le déplacement au sol, les parcours. Le coin dessin peut se prolonger en coin peinture dans lequel l’aménagement inclut des protections – sac poubelles ou toiles cirées au mur, sur les tables, voire au sol. Si un point d’eau existe dans la salle, le coin peinture et/ou modelage peut y trouver sa place. S’il n’y a pas de lavabo dans la salle on peut aménager un point d’eau à l’aide de bassines. Les coins de jeu d’imitation peuvent comporter un vestiaire de costumes ou plus simplement d’accessoires comme les chapeaux, les sacs, les foulards, les baguettes magiques, les boucliers...
Quels que soient les choix de l’équipe en matière de coins permanents, il est important de penser chaque espace pour les enfants, en adaptant le matériel mais aussi les affichages choisis (sont-ils compréhensibles par des petits ?), la hauteur à laquelle ils sont accrochés ; se demander si tout ce qui est accessible est utilisable par les enfants, afin de rendre possible leur choix et de leur donner la possibilité de faire seuls sans en référer systématiquement à l’adulte. Si ce qui est accessible n’est pas utilisable par l’enfant, celui-ci va se confronter sans cesse à des interdits. C’est un savant dosage à trouver entre ce qui est à disposition et ce qui ne l’est pas, ceci pouvant évoluer au cours du séjour à plus forte raison si l’on évoque dans le projet pédagogique l’autonomie de l’enfant.
Permanent mais pas immuable
Au cours du séjour l’animateur peut mettre en place de nouvelles installations invitant au jeu : la table est mise au coin dînette ; les poupées sont couchées ; habillées ; coiffées ; des pages blanches sont suspendues aux chevalets ; une tour de kapla est en construction. L’occasion de redécouvrir cet endroit, d’y vivre de nouvelles histoires, de nouvelles expériences dans lesquelles l’animateur peut prendre une place aux côtés des enfants. Le coin permanent devient partie intégrante de la vie du groupe, de l’activité, de la journée, un lieu de rencontres et de jeux partagés et sans cesse réinventés, n’ayant d’autre but que le plaisir de jouer. Les observations de l’animateur des jeux des enfants, de leurs centres d’intérêt, de leur activité, viendront nourrir ses propositions, enrichir les activités du groupe.
Accompagner les projets et l’activité des jeunes enfants
La présence de l’animateur dans les coins permanents, sa participation aux jeux et sa capacité à observer rendent possible l’accompagnement des projets du jeune enfant qui se vivent à court terme, voire dans l’immédiat. Les jeunes enfants expriment leurs désirs dans l’action et l’observation est essentielle pour faire des propositions qui répondent à leur intérêt et leurs désirs. Si les enfants passent du temps à jouer à l’eau dans les sanitaires, on peut proposer un coin jeu d’eau dans un endroit pour cela, avec quelques bassines, quelques gobelets, des bouteilles vides. Si le coin dînette fait office de restaurant, pourquoi ne pas y prendre le goûter, ce jour-là ? L’animateur peut bricoler, trouver du matériel pour agrémenter les jeux symboliques des enfants (des graines pour la dînette, des affichettes et des emballages pour la marchande, le bureau de poste), une cabane- extension du coin poupée. Plus l’enfant est jeune, plus il a besoin de l’aide de l’adulte pour les gestes précis (habillage des poupées), ou l’utilisation de matériel nouveau : tenir une paire de ciseaux, laver un pinceau... Si l’animateur se rend disponible, il peut accompagner l’enfant, faire avec lui, montrer les gestes, apporter une aide « technique » dans les coins « bricolage » ou « peinture » pour mélanger des couleurs, vernir, planter des clous, coller. Il peut faire évoluer un aménagement pour répondre à un besoin : une table en plus pour vernir des peintures, un agrandissement d’un des coins très investis par le groupe...
Conserver des repères
Il s’agit de trouver un juste équilibre entre des réaménagements ponctuels, résultats d’observations partagées au sein de l’équipe, et des déménagements fréquents et répétés qui finissent par rompre les repères indispensables à son utilisation, à son identification dans les temps et les espaces du centre de vacances ou de loisirs. Des règles de fonctionnement claires, simples et connues de tous garantissent la pérennité de l’espace de jeu et la possibilité d’y retrouver chaque fois le matériel disponible, rangé, prêt à être utilisé. Ces règles doivent prendre en compte les réalités du jeu des jeunes enfants et leurs besoins, afin d’ouvrir des possibles plutôt que d’empêcher de faire et d’inventer. OSER Enfin, il s’agit d’oser. Inventer des coins permanents, prendre des risques mesurés, en mettant à disposition des jeunes enfants du matériel varié. Si la dînette, les poupées, la marchande, les jeux de voiture et de construction ont une place essentielle, la peinture, le bricolage, le coin « plantage de clous », découpage (avec des ciseaux qui coupent !), l’expression, les jeux de sable et d’eau, de boue, peuvent également être propices à des coins permanents à faire vivre. Les coins d’extérieur ont eux aussi un intérêt fondamental : de la cabane à la cuisine de plein air, du coin poupées au coin peinture en extérieur, autant de possibilités de prolonger le jeu, le plaisir de jouer, l’exploration. Si les coins sont dits « permanents », gageons que ce soit vraiment le cas ; des espaces inscrits dans la vie du centre, à tous les moments. Les enfants peuvent y passer une minute, une heure, une journée ou une semaine. Si nous y regardons bien, ce n’est pas simplement « mieux que rien », un endroit pour « ceux qui ne veulent pas faire d’activité » et que l’on doit surveiller. Au centre de loisirs ou en « colo », l’enfant a besoin de jouer, il en a le droit. Alors, l’animateur s’invite auprès des enfants qui décident de leur activité et décident des règles du jeu : « On dirait qu’on serait »...
Qui a ouvert le coin poupée ?
Les moments d'accueil et de départ en crèche collective sont de véritables occasions d'éducation pour lesquelles la place et le positionnement des adultes, ainsi que les aménagements, méritent d'être réfléchis, afin qu'ils ne soient pas réduits à de simples temps d'attente.
7h30. Je découvre la crèche. C'est mon premier jour de stage comme étudiante éducatrice de jeunes enfants. En arrivant, les enfants de 3 mois à 3 ans sont accueillis dans une salle commune avant d'être répartis dans les différents secteurs par tranche d'âge. Un coin poupée et dînette est matérialisé par de petits meubles installés en carré, mais ce matin, il est « fermé», le petit banc qui permet son ouverture n'ayant pas été tiré. Quelques enfants demandent à y aller et je prends l'initiative de l'ouvrir. Quelques éléments de dînette y sont disponibles, mais il n'y a que deux assiettes, les enfants cherchent des fourchettes et ne les trouvent pas, ils se chamaillent car l'un d'entre eux a pris la poêle et l'autre son couvercle. Dans un coin de ce tout petit espace, une caisse est posée par terre, d'où dépassent deux poupons et des vêtements de bébé.
Cet article issu de la revue Les Cahiers de l'Animation