Lire et relire Sepulveda
« Il avait parlé à la forêt et seule la pluie lui répondit » Luis Sepulveda est mort du coronavirus, ce 16 avril 2020 à 10h18. C‘était un de mes écrivains sud-américains préférés et sans doute celui que j’ai le plus partagé avec mes élèves au cours de ma carrière. Son engagement politique allait de pair avec la défense des amérindiens, qu’ils soient Mapuches au Chili et en Argentine ou Shuars en Equateur. Ces derniers ont inspiré son roman le plus connu « Le vieux qui lisait des romans d’amour », celui qui l’a rendu célèbre et qui a été un cauchemar pour la dictature de Pinochet car il a été lu dans le monde entier mettant en lumière un exilé politique qui n’a cessé de dénoncer la barbarie du pouvoir en place à l’époque. Son traducteur en français s’appelait...François Maspéro.
Luis Sepulveda est mort et cette nouvelle m’attriste particulièrement. Je l’ai rencontré lors du festival de cinéma latinoaméricain de Biarritz dans les années 90. C’était la belle époque où l’éducation nationale avait encore l’intelligence d’accorder des stages de 3 jours pour que ses enseignant.e.s entretiennent leur culture générale dans des espaces privilégiés comme peut l’être ce type de festival. Rendez-vous compte, des profs d’espagnol absent.e.s 3 jours d’affilée pour aller se la couler douce à Biarritz, fin septembre (c’est souvent l’été indien Biarritz à cette période-là) !!!
En réalité, nos formatrices nous concoctaient un programme serré et passionnant qui alternait films latinoaméricains de l’année, rendez-vous avec des réalisateur.rice.s, acteur.rice.s, rencontres littéraires et artistiques et bien entendu, réflexions pédagogiques. Nous n’aurions raté ce moment pour rien au monde ! Ainsi, en plus de voir beaucoup de films inédits et qui ne sortiraient jamais en salle en France (même Télérama a encore un intérêt pour la culture latino-américaine un peu limité même si c’est mieux qu’il y a 30 ans !), avec mes collègues nous avons pu rencontrer et échanger avec Garcia Marquez, Isabel Allende, Sergio Larrain, ces deux derniers chiliens également, Ricardo Darin figure emblématique du ciné argentin, beaucoup d’autres encore et... Luis Sepulveda. A l’époque il vivait encore en Allemagne où il s’était réfugié en exil. De cette rencontre, il m’est resté une magnifique leçon de littérature, donnée avec beaucoup d’humilité et de générosité. Son amour de la littérature se concrétisait par sa capacité à donner à comprendre, à voir avec beaucoup de simplicité et de lucidité la richesse des courants littéraires d’Amérique latine et en particulier le réalisme magique né de la créativité de Garcia Marquez en particulier et présent chez beaucoup d’auteur.e.s de ce Sud. Il était un magicien de la langue espagnole et il avait le don de conter, de raconter et de transmettre.
Ce sont des rencontres comme celle-ci qui me confortaient dans mon choix d’enseigner l’espagnol, la langue de Cervantes certes mais aussi de celui qui parfois pouvait être comparé à Don Quichotte dans ses luttes contre les injustices de ce bas monde et dans son combat pour sauver la planète. Alors, relisez, relisons, lisez Sepulveda, sa mouette, sa baleine, son ocelot et l’histoire de son vieux, de la beauté sauvage et étouffante de l’Amazonie et de la bêtise atemporelle des humains qui creusent leur tombe…Chronique d’une mort annoncée ?