LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Communication non-verbale Commedia dell’arte et jeux d’expression.

À travers le prisme d’ateliers de pratique gestuelle et théâtrale autour de la commedia dell’arte, ce cahier amène à s’interroger sur la place que nous accordons à la communication non verbale dans les temps d’apprentissage et d’activité avec des enfants.
3 personnes ont aimé cette fiche
Média secondaire

Certains enfants, manquent de mots et ont du mal à structurer les phrases lorsqu’elles deviennent complexes. Cela les pénalise dans de nombreux domaines scolaires et plus généralement sociaux. Bien que volontaires et montrant une envie d’apprendre, ils ont souvent tendance à se mettre en retrait lorsqu’il s’agit de parler, de proposer, d’affirmer… Ils interviennent peu oralement et de ce fait se retrouvent à suivre le groupe. Ils ont appris à lire mais leur manque de lexique les freine. Parfois, ils se sont même habitués à ne pas comprendre certains mots lus ou entendus. Ils ne posent plus de questions. Et si l’adulte, qu’il soit enseignant ou animateur, anticipe l’explication d’un vocabulaire qui lui paraît complexe, il a du mal à imaginer, que l’on ne puisse pas maîtriser des mots simples. Il découvre parfois qu’un mot d’usage courant n’a pas été compris par un enfant et que cela gêne globalement sa prise de sens de la situation. C’est un vrai défi que le statut de ces enfants face aux mots. Comment les amener à les acquérir, les utiliser et les maîtriser pour faire sens et société ? À travers le prisme d’ateliers de pratique gestuelle et théâtrale autour de la commedia dell’arte, ce cahier amène à s’interroger sur la place que nous accordons à la communication non verbale dans les temps d’apprentissage et d’activité avec des enfants. Pratiquer d’autres types de communication n’apporte pas une réponse toute faite à la problématique des mots. Augusto Boal aurait dit : « Stop, c’est magique. » * Ces activités d’expression ne sont pas un pis-aller pour pallier des difficultés de langage. La communication non verbale ouvre simplement l’univers des possibles en termes de communication, une approche culturelle qui met des enfants en situation de s’exprimer autrement.

Situations de communication

Les réactions de certains enfants lors d’un atelier théâtre ouvrent des pistes de réflexion. Nous avions prévu dans le cadre d’un projet d’école, un cycle de travail sur le théâtre, pour favoriser l’ouverture culturelle et la maîtrise de la langue orale. En guise de préambule, le comédien et metteur en scène Alberto Nason*, avait joué un spectacle présentant les personnages de la commedia dell’arte, aux enfants, aux enseignants et à des animateurs du périscolaire. Le texte, dit en ancien patois bergamasque, était incompréhensible en termes de langue pour l’ensemble du public et pourtant, paradoxe étonnant, chacun avait compris. Portés par l’intonation, la musique des mots, les attitudes, la gestuelle, nous étions tous capable de raconter les histoires. Des ateliers de pratique ont eu lieu dans les jours qui suivaient. Alberto Nason, proposa aux enfants la construction d’une grammaire des personnages de la commedia dell’arte en les déclinant par l’attitude, la voix, le geste. Il les amena à s’imaginer comme si… se comporter comme si… marcher comme si… parler comme si… Puis, à partir de ces personnages caractéristiques, ils jouèrent et improvisèrent de courtes scènes. L’investissement et l’implication de certains enfants, qui d’habitude étaient plutôt en retrait, furent étonnants. Cela relevait d’une véritable transformation. Ils se sont retrouvés moteurs et avec un enthousiasme réel, ont fait preuve de finesse et de justesse de jeu. Après la séance, certains sont restés pour venir parler avec le comédien. Et chose étonnante… ils se sont montrés capables de retenir un vocabulaire complexe sur le théâtre, eux qui peinaient souvent avec des mots plus simples. Communiquer autrement et de manière multiple, les avait amenés à être dans une dynamique de valorisation, de réussite et de prise de sens par rapport aux situations vécues.

Au commencement était le verbe

Le propos de ce document n’est pas de présenter le théâtre comme solution miracle dans la lutte contre l’échec scolaire ou contre l’exclusion sociale. Le problème est globalement complexe et multifactoriel. La situation décrite, si elle sert de loupe et de révélateur, ne peut être considérée comme une panacée dans laquelle les mêmes actions produiraient les mêmes effets. Mais ce moment, très parlant de par son aspect caricatural, amène à s’interroger sur la prise en compte de la diversité et de la réalité des enfants dans leur approche de l’activité et sur la place que les lieux d’apprentissage, scolaires, périscolaires et de loisirs, accordent à la communication non verbale. « Au commencement était le Verbe »… Cette citation tirée de l’Evangile présente une symbolique forte, significative de la démarche que nous mettons bien souvent en place en tant qu’adultes pour faire entrer les enfants dans l’activité et l’apprentissage.

Nous parlons, nous définissons, nous leur expliquons, nous les projetons verbalement et intellectuellement dans les actions à venir, puis lorsque tout a été dit, nous les laissons agir. La primauté de la parole pour entrer dans l’activité a même créé des attitudes réflexes chez certains enfants. À l’école, lorsqu’un document leur est distribué, ils ne cherchent plus à anticiper et à en prendre connaissance. Le papier reste sur leur bureau et pour s’en saisir, ils attendent que l’enseignant parle. Mais cette tendance à entrer dans l’activité essentiellement par les mots n’est pas réservée qu’au milieu scolaire. Elle se retrouve également dans l’animation.

Capter l’attention du groupe

Je vais vous expliquer le jeu ! » Situation banale et pourtant paradoxale dans laquelle les conduites motrices pourtant premières dans l’intention sont reléguées au deuxième plan. L’animateur ou l’enseignant va d’abord réunir tous les enfants autour de lui et expliquer en détail, les règles et tout ce qui doit se passer. Pendant cette explication, l’adulte va parfois peiner à capter l’attention du groupe. Il va se mettreen colère parce que certains n’écoutent pas, menacer, voire exclure des enfants avant même qu’ils n’aient commencé à jouer. Et souvent, certaines règles du jeu n’ayant pas été intégrées ou comprises par les enfants lors de son explication du début, cela l’oblige à reprendre la main, sanctionner et interrompre l’activité pour les rappeler. La systématisation de situations de ce type est coûteuse pour celui qui les mène et a tendance à créer des incompréhensions.

Comprendre et expliquer

Pourquoi ne pas partir du visuel, le commenter en fonction du geste et rendre les enfants acteurs ? Il est plus facile de parler de ce que l’on a vécu, que de l’anticiper dans le langage, surtout si l’on manque de mots. Prendre en compte la réalité du groupe et s’y adapter, peut aussi signifier lorsque l’on commence un jeu, la mise en place des règles simples qui sont signifiantes pour tous. Elles évolueront en fonction de situations que les enfants auront vécues et perçues et pourront être expliquées et commentées par tous. Adapter les sollicitations à la diversité de perception, favoriser l’implication de tous et la communication, facilitent aussi le rôle de l’animateur, car il ne crée pas des situations contre lesquelles il aura ensuite à lutter. Une autre situation est aussi caractéristique et se retrouve dans tous les milieux éducatifs. Lorsqu’un enfant n’a pas compris un mot ou une expression, très souvent l’adulte va tenter de les lui expliquer en s’appuyant uniquement sur le langage. Il va employer d’autres mots qu’il juge plus simples et compréhensibles, mais ne le sont pas forcément. Et il conclue par un : « Tu as compris ? » qui ne peut décemment pas être récusé. Les enfants nous renvoient parfois en miroir grossissant cet état de fait, lorsque nous leur demandons ce qu’ils ont voulu dire et qu’ils nous répètent en boucle la phrase que nous leur demandions justement de clarifier. L’attitude, le geste, l’intonation lorsque l’adulte présente, explique, peuvent faciliter la compréhension de son propos. Et lorsqu’un enfant n’a pas compris, passer par la situation du jeu, de l’exemple visuel, de la matérialisation physique pour l’aider à percevoir est souvent riche d’enseignements.

Personnages à imaginer

Le projet autour de la commedia dell’arte a amené à mettre en place des situations de jeu pour permettre aux enfants de se créer une grammaire des personnages et des gestuelles : s’imaginer très fort, très faible, adulte, vieux, gros et pesant, mince et léger, fatigué, élégant, très beau ou très laid… S’imaginer dans des situations diverses : en train de se savonner sous la douche, de se promener, de manger, de se disputer, de donner un ordre, d’obéir ou de refuser d’obéir… Être timide, pressé, sûr de soi, inquiet, fatigué, amoureux, en colère, dégouté, joyeux… Tous ces personnages imaginés pouvant être mis en scène dans de courtes situations de jeu, afin de leur donner vie et matérialité.

Faire vivre le personnage, exemples de mises en situation

Les enfants ont pu individuellement ou collectivement faire vivre un personnage en fonction d’indications scéniques simples :

  • marcher, frapper à une porte, entrer dans une pièce, se présenter, apporter un objet…
  • Ils ont également joué avec des situations collectives autour de rencontres de personnages.
  • Ces moments de jeu peuvent être imaginés par les enfants eux-mêmes, mais aussi être élaborés par l’adulte avec des indications tirées au sort par les groupes : des amis, des ennemis, un ou des amoureux, quelqu’un de perdu demandant son chemin…
  • On peut également faire varier l’environnement : Il fait froid, il fait chaud, il pleut, il neige, la rue est étroite, l’action se passe dans un grand champ…

Ces jeux de dialogues et de gestes peuvent être accompagnés d’un éloignement progressif. La courte scène est rejouée plusieurs fois en reculant d’un nombre de pas déterminé. Cela amène les joueurs à devoir parler plus fort, au fur et à mesure qu’ils s’éloignent l’un de l’autre. Ils sont mis dans la situation d’avoir à jouer sur le ton et l’articulation, ainsi qu’à exagérer leur gestuelle. Les personnages de la commedia dell’arte portent un masque et communiquent en mêlant le langage, aux intonations et à la gestuelle. Mais jouer à partir d’une communication, qui ne s’appuie pas exclusivement sur les mots, amène à d’autres types d’activités d’expression. Des jeux dans lesquels les émotions, traduites par le visage sont essentielles pour communiquer avec l’autre. Signifier une émotion sans rien dire, uniquement par l’expression de son visage et son attitude. Décrypter l’émotion de l’autre à partir de situations de jeu et de photos… Les activités sont diverses :

  • S’observer dans un miroir en faisant varier les représentations et les émotions de son choix.
  • Faire deviner à l’autre ou aux autres une émotion. S’imaginer et se mettre en situation à partir d’une expression choisie ou tirée au sort.
  • Réaliser une banque d’images (trouvées ou photographiées) que l’on pourra utiliser pour la fabrication de divers jeux : trouver l’émotion, jeu de Memory, jeu de familles…

Des activités d’expression qui mènent à prendre en compte à la fois ses propres émotions, mais aussi celles de l’autre. Des compétences psychosociales essentielles dans la relation : être capable de percevoir les émotions de l’autre et de s’imaginer à sa place.

Histoires à raconter

Les personnages étant imaginés, matérialisés, animés, il s’agit maintenant de leur faire raconter une histoire et de la faire vivre. Les situations proposées peuvent être diverses et progressives : allant de trames très structurées donnant aux enfants un cadre sécurisant et collectif pour oser agir, à des situations d’improvisation. L’adaptation au groupe et à la réalité de tous est essentielle. Il faut donner aux enfants les moyens d’entrer dans le jeu et de s’y sentir bien pour avoir la possibilité de s’y exprimer.

Raconter collectivement une courte scène

Telles les chansons à gestes, tous les enfants seront amenés à suivre une gestuelle et des intonations, que le groupe s’amusera d’abord à reproduire, puis à faire évoluer. Telle la tirade de l’un des personnages de la commedia dell’arte à propos du cochon qu’il élève : « Mon cochon ! Il est gros ! Il est gras ! Il a une queue en tire-bouchon… Quand j’arrive, il me regarde avec ses jolis petits yeux… Tous les matins, je lui prépare une grande marmite de polenta… »

Jouer une histoire au scenario et aux personnages définis

La commedia dell’arte se prête bien à cette activité, qui amène les enfants à approcher le théâtre de Molière, mais aussi à s’interroger sur des situations et des rapports sociaux beaucoup plus contemporains. Les personnages y sont caricaturaux et incitent au jeu. Docteur est un vieillard vaniteux, qui étale ses pseudos connaissances et cherche à montrer qu’il est savant. Il parle une sorte de latin incompréhensible pour tous. Il aime beaucoup s’écouter. Capitaine Matamore se vante de son courage et raconte des exploits imaginaires. En réalité, c’est un poltron, qui a peur de tout. Polichinelle, dont le nom pulcinella signifie « petit poussin », représente le peuple et peut être très rusé ou, au contraire, complètement naïf, selon les exigences du scenario. Arlequin a un costume tout rapiécé, couvert par des morceaux de tissus. C’est un valet naïf et gourmand, qui fait souvent des bêtises. Il court aussi après les filles. Pantalon est un vieillard avare et grognon. C’est souvent autour de lui que se joue l’intrigue. Il veut toujours marier sa fille à un homme riche ou puissant. Mais, il peut aussi être amoureux de jolies jeunes femmes. Le plus souvent, il se fait tourner en ridicule. Colombine est une soubrette vive et maligne. Elle est souvent l'amoureuse d'Arlequin, mais Lelio, Flaminio ou Léandre cherchent aussi à la séduire. Brighella est un valet « intrigant, fourbe et fripon » au dire de Goldoni. C’est un serviteur qui est sûr de lui, se met en avant et flatte son maître pour mieux profiter de lui. Il n’a pas de chances avec les filles.

Conventions

Les scenarii de la commedia dell’arte sont menés généralement par deux moteurs : l’amour, pour les maîtres, et la faim – apanage des serviteurs. Les thématiques brisent les conventions de l’époque, tel que le mariage sans le consentement de la famille (mais est-ce que cela appartient vraiment au passé ?) ou de la fille qui s’habille en homme. Mais si les histoires racontées renversent les situations, se passant de l’ordre établi et des préjugés, il ne faut pas croire qu’elles soient destinées à se moquer seulement des puissants. La commedia dell’arte montre les côtés ridicules de l’homme, qu’il soit maître ou serviteur et si le ridicule ne tue pas, il arrive tout de même à traverser le temps. Ces thèmes universels, nous parlent encore aujourd’hui. Les transpositions de situations de jeu sont nombreuses en particulier en ce qui concerne le droit des adultes à intervenir dans les aspirations des jeunes : leurs relations, leur formation, leur avenir professionnel… Où se situe la limite entre éduquer et formater pour reproduire une société ? La commedia dell’arte s’amuse avec nos dérives et nos défauts. Par le jeu, elle nous permet de réfléchir à la remise en cause de pouvoirs établis et fait souffler un vent de liberté et d’humanité.

Improviser

Définir une trame situant le contexte et les enjeux de la scène et laisser les personnages agir. La fin pouvant être définie à l’avance ou pas. Distribuer les rôles et amener un ou plusieurs protagonistes à s’adapter et à réagir à une situation qu’ils découvrent et à laquelle ils sont confrontés, en fonction de leur personnage. Les jeux d’improvisation peuvent être nombreux. Mais il est toujours essentiel de garder à l’esprit que l’improvisation n’est pas magique ; elle se nourrit de connaissances.

Jouer à créer une histoire

Jouer des scènes, s’en souvenir de mémoire, en notant ou en filmant. Les reprendre, les faire évoluer par le jeu des acteurs, imaginer une suite… Et créer une histoire. Mais la démarche peut également être inverse, en imaginant un scenario de départ. Le jeu des acteurs fera alors évoluer la mise en scène.

Communiquer autrement

La communication a de nombreux visages. Développer le langage non verbal est un apprentissage qui est important pour tous et une compétence qui loin de s’opposer aux mots, au contraire les fait vivre et les enrichit. Une compétence à utiliser plus souvent pour diversifier les approches et la prise de sens de tous les enfants, mais également à travailler pour les amener à mieux maîtriser cet aspect de la communication et s’en nourrir. Si le fait de mettre en mots et de passer par le langage pour concevoir et se faire comprendre des autres est essentiel à l’éducation et aux apprentissages, il semble important de ne pas adopter un fonctionnement univoque. Il ne faut pas confondre la fin et les moyens. La communication est multiple et les démarches pour s’approprier le langage, les concepts et les mots également. S’appuyer sur différents types de communication, verbale et non verbale, dans les situations que nous proposons aux enfants permet d’élargir leur perception et de favoriser l’implication de tous, sans exclusion. Mais ces activités d’expression favorisent aussi, la prise en compte de l’autre dans une approche culturelle de la relation humaine.


 

Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation - vacances loisirs