LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Jouer avec son ombre

Dans le théâtre d’ombres, on manipule des objets pour produire le spectacle, avec les ombres corporelles, c’est le corps lui-même qui se met en jeu derrière le rideau translucide
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Média secondaire

Les « ombres corporelles » mettent en jeu tout le corps et l’ensemble des possibilités d’expression corporelle à travers la projection de son ombre et de l’effet que celle-ci produit. Cette activité nécessite une installation à dimension humaine qui permettent à plusieurs « joueurs » d’évoluer debout et sur une largeur convenable.

Les « ombres corporelles » se distinguent des « théâtres d’ombres » ou « ombres découpées » dans lesquels il s’agit de jouer avec les ombres de petites figurines découpées dans du carton fort plaqués sur un écran de taille réduite, le plus souvent en papier calque ou papier sulfurisé. Ces figurines sont manipulées à l’aide de tiges ou de baguettes par des personnes invisibles aux yeux des spectateurs.

Michel Fougères et Jean-Noël Obert
Groupe national d’activités « Jeux et théâtre »


Réhabiliter les jeux d’ombre


Proposer une fiche descriptive d’installation ludique comme celle sur les ombres corporelles en indiquant seulement quelques règles d’utilisation possible est toujours délicat. Même si on fait, a priori, confiance à l’utilisateur pour la revitaliser, on craint d’être responsable qu’il aille au plus pressé en restant à la superficialité du support et en ne prenant pas le temps de redécouvrir « ce qui peut se cacher derrière », ce qui, pour lui, comme pour ses destinataires, va en faire tout l’intérêt.

L’invitation à une quête de sens pour se placer mutuellement sur un plan vraiment éducatif en restant en phase avec le(les) culturel(s) n’a rien de prétentieux et me semble justifiée.

Un art venant de loin

Je ne ferai qu’évoquer, à travers une série de questions, des représentations que l’on peut véhiculer, quelques « charges » motivantes, en souhaitant convaincre les utilisateurs qu’il s’agit d’autre chose que d’une pratique fermée, occupationnelle et futile, car pour susciter de la créativité une activité doit générer de l’ouverture et révéler des liens avec des pratiques socialisées.

Et l’essentiel est bien dans la manière dont l’animateur considère personnellement le support expressif qu’il propose, l’intérêt réel/sensible qu’il lui porte, et par ricochet, l’estime qu’il a pour ceux à qui il fait la proposition. L’outil qui va permettre la mise en forme de contenus doit être valorisé quitte à faire voler, si besoin est, des lieux communs : Les ombres, un support primaire, désuet, obsolète à l’heure des caméras et des écrans ? Non ; un art venant de loin dans l’espace et dans le temps et générant une esthétique très spécifique.

Une activité pour enfants et pédagogues ?

Non, pas plus que les marionnettes ou les formes animées donnant lieu à d’authentiques productions artistiques.

Une forme limitée ?

Certainement pas si on sait l’inscrire dans une chaîne d’activités inventives en particulier manuelles ou sonores (constructions de costumes, d’artifices, de musiques vivantes ou de bruits, lectures) et l’ouvrir à toute une famille d’activités : à côté des ombres corporelles totales, des ombres segmentaires, en particulier réalisées avec les mains, des ombres découpées, articulées, opaques ou translucides, projetées sur un mur, dessinées : profils, silhouettes…

Une technique pauvre ?

Rudimentaire, oui, mais à portée de tous et permettant d’aborder rapidement des domaines difficiles à traiter comme le mystérieux, le féérique, le fantastique, l’imaginaire ceci à travers l’illusion, les effets faciles (gigantisme, perspective, apparition-disparition, métamorphoses) et transposés différemment qu’au moyen de la photo, de la vidéo ou du cinéma.

Une pratique théâtrale fixe avec ses castelets ?

Oui, une pratique nécessitant la présence de spectateurs (de plus ou moins grande proximité), invités à entrer par le « faire » et le « voir » alternés ou non dans du ludique mais aussi dans des univers distanciés, éloignés du naturalisme, invitant à une réception flottante souvent profonde. Dans le passé les ombres découpées, les « silhouettes » caricaturales, relèvent de l’art de la satire, de la critique, de la contestation.

Un jeu simpliste avec la lumière ?

Plutôt, une manière d’éclairer curieusement par l’arrière, comme dans la caverne allégorique de Platon, ou invitant à se perdre dans les apparences comme ces ancêtres lointains qu’on peut imaginer effrayés par leurs propres ombres, figures impressionnantes sur les parois des grottes, éclairées par des feux.

Un moyen d’aborder des thématiques poétiques, inhabituelles ?

D’évoquer les arrières-mondes, le monde des ombres, des revenants, des esprits, des mythes et légendes ou plus paisiblement des récits et des contes. De se raconter sur un autre mode des histoires délirantes.

Une activité facilement abordable ?

Surtout une mise en situation où derrière un écran on peut se dissimuler et s’imaginer caché ; une activité d’expression où les timides peuvent se montrer sans être vus et les extravertis contraints de maîtriser leur exubérance physique.

Et les corps dans tout ça ?

À travers ces projections et ces mises à plat on les découvre on les reconnaît à la fois identiques et
autres. À un moment où l’on va vers l’image encore plus réaliste et où le 3D est présenté comme un progrès non seulement technologique mais artistique, ne serait-ce pas une activité à contre courant ? Et alors ? Pour une pratique artistique, se développant dans un espace intermédiaire, est-ce si gênant ?

Jac Manceau


Le dispositif


Le théâtre d’ombres corporelles est une représentation « à plat » d’une scène de théâtre classique. Pas de relief, pas de profondeur, les personnages et les décors sont plaqués sur la toile, un peu comme sur un écran de cinéma. Le cadre de scène est encadré de 2 pendrillons (les coulisses).

L’écran

Il est fait d’un tissu blanc, d’une toile de drap. Il doit avoir une hauteur de 2,20 m au minimum à 2,50 m afin de permettre aux joueurs de se tenir debout, y compris dans des positions corporelles où les bras peuvent s’élever au-dessus de la tête. Sa longueur aura de 3 à 4 m si possible.

Il faudra bien tendre la toile, si l’on ne veut pas avoir des silhouettes déformées. Dans le cas où le tissu traîne par terre, prévoir également de le tendre en le calant avec un tourillon, un manche à balai, un tube métallique, des lattes…

Les coulisses (pendrillons)

Elles sont faites de deux rideaux de tissu épais, couvertures, qui délimitent une région opaque de chaque côté de l’écran et derrière lesquels les joueurs se préparent à jouer sans être vus du public.

 

La source lumineuse

La plus simple est un spot. Il faudra le placer à une hauteur de 80 cm à 1 m du sol. Selon l’ambiance recherchée, il est possible d’utiliser une bougie ou spot de couleur.

Il est nécessaire de prévoir une circulation aisée tant dans l’espace de jeu que dans l’espace réservée au public. Cela conduit à veiller aux contraintes suivantes :

  • Réserver une profondeur suffisante derrière le drap afin de faciliter les déplacements notamment derrière la source lumineuse. En effet, les joueurs doivent pouvoir aller de part et d’autre de la l’écran sans passer dans le faisceau lumineux. Il doit être possible de stocker quelques éléments de costumation et accessoires divers qui seront utilisés par les joueurs.

 

  • Prévoir des dégagements suffisants de chaque côté du drap.
  • L’accès à l’espace de jeu doit être facile pour les joueurs en attente qui peuvent jouer le rôle de public. Cela favorise la participation de tous les joueurs car la difficulté de se déplacer jusqu’à l’aire de jeu risque de faire perdre courage à certains de ceux qui désirent jouer.

Les joueurs découvriront par le jeu et l’observation du jeu quelques aspects techniques concernant la « qualité » de l’ombre rendue selon la place que le joueur occupe par rapport à la source lumineuse et à l’écran.

  • Plus on est près de l’écran et plus l’ombre est nette et petite
  • Plus on se rapproche de la source lumineuse, plus l’ombre grandit mais perd de sa netteté.

Ainsi le joueur B qui est très près de l’écran a son ombre à peu de choses près de la même taille, tandis que le joueur A, près de la source lumineuse, a une ombre qui est agrandie…

Mais les spectateurs ne voient pas son l’ombre de ses jambes sur l’écran.


Installation du dispositif


Le dispositif en lui-même se compose

    • d’une toile blanche et de deux pendrillons, le tout suspendu, accroché…
    • d’une source lumineuse

Matériel nécessaire à l’installation et la réalisation

    • tasseaux ou lattes de 2 m
    • outillage et fixations diverses (vis, pitons, crochets, semences de tapissier, serre-joints)
    • rolls de sisal 3x3
    • ciseaux, marteau, grosse agrafeuse, tournevis
    • sources lumineuse variées (lampes de poche, petits spots, bougies, projecteurs, lampes de camping, lampe tempête…)
    • matériel électrique (rallonges, multiprises, douilles, petit outillage électrique, lampes de couleur ou gélatines de théâtre).
    • Epingles de nourrice
    • Cordons
    • Un répertoire d’histoire à jouer et une documentation correspondante
    • Des accessoires divers pour le jeu (privilégier les grands formats)
    • Un lecteur de cd portatif et des cédés variés (musique, bruitages…)

Des draps ourlés en haut et en bas, ainsi que des pendrillons opaques pour les dégagements. De grandes toiles de Mayenne ou à défaut des couvertures si l’on n’a pu confectionner en amont ces pendrillons dans de la toile noire feront l'affaire.


Fixation du drap


La solution la plus simple est l’épingle à linge…En bois ou en plastique, peu importe la technique.

L’épingle à tête a ses défenseurs…

Gare aux doigts, et en plus l’installation prend plus de temps !

Belle invention que l’ourlet…

Encore faut-il trouver l’ingénieuse couturière aux doigts de fée… Il permet bien sûr d’oublier épingles à linges ou à tête, et de faire passer corde ou tringle, c’est selon…

Fixation du drapVous avez dit « tringle » ?

Classique, la tringle à rideaux en bois… Munie d’un piton à chaque extrémité pour y fixer la corde de part et d’autre, on la glissera dans l’ourlet de l’écran. Pensez qu’une tringle de 4 mètres ne se range pas facilement dans le coffre d’une voiture et encore moins dans une sacoche à vélo.

Fixer le drap avec une tringleLe nœud de « plein poing ». Une option « tout ficelle »

A 10 ou 20 cm à l’extérieur de l’ourlet (bien sûr), faire un nœud dit « de plein poing » sur la corde de chaque côté du drap.

Pour tendre le drap à la hauteur voulue, passer la corde dans le piton ① puis dans le ②, la glisser dans l’œil du nœud et tendre selon ses besoins. Fixer.

On peut fixer au piton ② … Faire la même chose de l’autre côté.

Tendre le drap avec un noeud de plein poing


Jouer seul


Les joueurs s’étant répartis en petits groupes de 5 ou 6, un groupe est derrière le drap, les autres constituent le public.

Des passages

 

Me reconnaissez-vous ?

Un par un, les joueurs traversent l’espace du drap « normalement », les regardant s’amusant à les reconnaître.

Se déformer

Les joueurs tentent de retarder la reconnaissance du public en prenant des postures qui les déforment, et ou cachent des parties de leur corps, par des déplacements de façon « bizarre ».

Se transformer

Les joueurs utilisent des accessoires ou des éléments de costumes, soit des effets vestimentaires de leurs partenaires de jeu, ou des effets provenant d’une malle apportée à cet effet.

On incitera alors les joueurs à se déplacer plus lentement que la normale : l’espace de l’écran étant limité, l’image étant en deux dimensions et l’œil du spectateur n’ayant pas les repères habituels d’arrière plan pour suivre les mouvements, il semble que « cela aille trop vite »

Des actions

Gestes quotidiens

On donne aux joueurs des actions simples de la vie quotidienne à effectuer.

Qui suis-je ?

On donne aux joueurs (ils peuvent choisir dans une liste préparée) un personnage qui effectue une action. Cela peut évidemment aller au-delà du jeu qui alimentait nos récréations, le « jeu des métiers »…

Que fais-je ?

Par écrit, on donne aux joueurs une suite d’actions à effectuer que le public aura à deviner.


Jouer à plusieurs


Des images fixes

Noir, lumière

L’éclairage est éteint, les joueurs se placent près de l’écran et prennent une position. La lumière reste allumée 5 secondes puis s’éteint. Les joueurs prennent une nouvelle position et ainsi de suite plusieurs fois.

Photos

Etant placé devant le drap sans lumière, le groupe reçoit de la part de l’animateur des mots qu’il doit « illustrer » par une attitude. Lorsqu’ils sont prêts, on allume la lumière.

Conte en 3 images

Les joueurs se mettent d’accord sur un conte et doivent donner à voir 3 images l’illustrant. Les joueurs se placent dans le noir pour la première image, la lumière est allumée pendant une dizaine de secondes puis s’éteint. Ils se placent pour la deuxième et ainsi de suite.

Evénement en 3 images

Même chose avec un événement ayant marqué l’histoire de l’humanité.

Des petits jeux

Les rencontres

Des personnages se croisent, se suivent, établissent des relations, se séparent, partent ensemble…

Les charades

On confie au groupe un mot à faire deviner au public en interprétant chacune des parties du mot. Exemple : « cinéma » qui pourra se donner avec scie, nez, mât ou bien avec six, nem, A… A chaque partie du mot, la lumière s’éteint pour laisser le temps aux joueurs de se placer comme dans le conte en 3 images. Au moment de rallumer, laisser au public le temps de la réflexion.

A qui est ce son ?

Les joueurs sont par 3 ou 4. Chacun choisit un geste à faire en boucle et un son pour l’accompagner. Avant de passer dans la lumière, ils échangent leur sons. Le public assiste donc à 3 (ou 4) partitions qui ne collent pas tout à fait. Afin de déterminer qui fait quoi, le public peut demander à n’entendre qu’une personne, les autres restant muettes tout en continuant à jouer.

Vers des jeux structurés comme des « jeux dramatiques »La présence d’une malle d’accessoires et d’éléments de costumation incitera les joueurs à s’en saisir et à se lancer dans les situations à 2 ou 3 qu’ils ont envie de jouer.


Un projet conte


Un certain nombre de contes sont proposés à la lecture… Chaque groupe en choisit un et va devoir le mettre en scène.

Vont se poser les questions suivantes

Par rapport au texte :

Y a-t-il un conteur ? si oui, est-il visible (devant le drap, bénéficiant d’un éclairage particulier) ou parle-t-il derrière en voix off ?

Par rapport aux autres joueurs :

  • Présenteront-ils des tableaux fixes sur la lecture ? seront-ils en action ? un mélange des deux ?
  • Parleront-ils ? se contenteront-ils d’illustrer le texte dit ? un mélange des deux ?
  • Y a-t-il aussi une possibilité que les joueurs utilisent aussi le devant de la scène ?

Sur le plan technique :

  • Est-il besoin d’une bande son (musique, bruitages) ?
  • Est-il besoin de plusieurs sources de lumière de nature différente (bougie, lampe de poche, spot, projecteur) ? d’intensité variable (nécessité d’un jeu d’orgue) ? placées à des hauteurs différentes ? à des distances différentes de l’écran ? de couleurs différentes (changement d’ambiance) ?
  • Est-il besoin de décors ? d’autres zones d’apparitions ?

… Tout cela en se souvenant que la technique doit être au service de l’action des joueurs et du public qui regarde, lequel ne demande qu’une chose : être «embarqué»…