LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Bonhomme compas et SuperPQ

Un temps d’activité est proposé en stage BAFA 1, la thématique « marionnettes » intéresse 6 stagiaires. Nous est contée ici l’histoire de ces 4 heures à la découverte de ce moyen d’expression dramatique, au travers des diverses étapes où le jeu prend le pas sur la fabrication.
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Média secondaire

Même si on l’aborde avec toutes les précautions possibles, même si on prend soin de la sécurité affective de chacun•e et qu’on laisse le choix aux stagiaires de faire ou pas, il n’en reste pas moins que ce n’est pas si simple de se lancer dans la manipulation d’une marionnette. Mais en animation volontaire il s’agit d’une activité incontournable dans le paysage à la fois manuel et ludique. Alors il faut se lancer, oser, faire des tentatives, initier des essais qu’on pourra transformer. l’objet facilite le fait de se prendre au jeu. Et petit à petit la découverte se mue en un regard avisé et on est tour à tour joueur•joueuse et spectateur•rice. Ça vaut le coup de goûter à cette technique jusqu’à prendre le risque d’en devenir mordu•e.


 

La marionnette, abordée en stage de formation d’animateurs volontaires, est pour la plupart des stagiaires une découverte, un paysage à la fois manuel et ludique qui peut effrayer et qu’il faut apprivoiser. Prendre le temps de laisser l’activité s’installer en offrant de multiples propositions d’accès permet à chacun d’entrer dans le jeu.

Pour notre formation générale Bafa, qui se déroule en demi-pension et qui accueille trente quatre stagiaires, l’équipe de formateurs souhaite mener et diriger des temps d’acquisitions techniques, nommées « AquiTeck». Étant habitué aux coins aménagés et aux activités permanentes, la proposition me surprend un peu. Après un temps, je l’approuve. Il me semble qu’une aisance technique (savoir fabriquer un jouet en bois, connaître différentes techniques de peinture) est un préalable à une animation ouverte, spontanée, et attentive aux souhaits et envies des enfants. Je propose donc la veille au soir de mener un atelier marionnettes. En effet, les marionnettes mêlent le jeu enfantin et les arts plastiques. En centre de loisirs ou de vacances, elles participent aisément aux activités spontanées et sensibles des enfants et se prêtent au jeu libre.

Par ailleurs, mener cet atelier est l'occasion de continuer à me former sur cette activité. Parmi mes contraintes : je n’ai ni chaussettes ni feutrine alors que la marionnette chaussette est ma technique favorite, simple et rapide ; l’atelier « AquiTeck » doit durer quatre heures, de 14heures à 18heures et je connais moi-même très peu le théâtre de marionnettes. J’ai donc beaucoup à apprendre.

La préparation, une étape importante

Après avoir déniché au fond de l’espace documentation le petit cahier n°3 « Jeux de marionnettes : cinq propositions concrètes, quelques réflexions et échanges » du groupe « Jeux et théâtres » des Ceméa, je décide d’axer mon atelier sur le jeu et non sur la fabrication de la marionnette ou sur le spectacle. Le matin même, je consacre une heure à la préparation : je réalise huit petites marionnettes. J'expérimente des méthodes qui permettent de fabriquer une marionnette en moins de deux minutes.

1. Du carton découpé et plié forme facilement une bouche. Deux ouvertures sur les côtés font les yeux. Voici une belle gueule de monstre ou de crocodile.

2. Un bouchon de liège collé sur un rouleau de papier toilette au pistolet à colle et un peu de crépon représentent un petit personnage aux longs cheveux. Ce petit bonhomme tient tout seul sur la table.

3. Du papier journal compacté et enroulé dans un morceau de tissu gris prend, très approximativement, la forme d’une tête d’éléphant. Des élastiques tiennent le tout en place.

4. Un brocoli taillé à coups d’économe devient, à mes yeux, un arbre enchanté.

5. Je découpe également une tête d’éléphant dans une vieille affiche que je colle sur un morceau de carton. Un morceau de fil de fer, fixé au carton par du scotch, fait une petite poignée.

6. Une raquette de ping-pong, rapidement customisée à l’aide de patafix et de papier, devient un personnage à double visage.

7. Je tente de réutiliser la technique du papier de journal froissé enroulé dans du tissu (cf. la « tête d’éléphant ») pour faire une chenille articulée suspendue par des fils. Le résultat me déçoit : les articulations fonctionnent mal et mes fils sont trop épais, trop visibles.

8. Cette fois-ci, des piques à brochettes permettent de donner à cette dernière marionnette en papier journal et tissu une forme humaine. Je lui dessine rapidement un petit visage souriant.

J’installe ensuite une grande table centrale et quelques chaises autour. Le matériel est posé sur d’autres tables à proximité. Il se retrouvera plus tard en vrac au milieu de la grande table au cours de l’atelier. Du matériel (un objet) et un matériau (la main) simples pour un jeu immédiat

L’atelier commence. Six stagiaires sont présents

En introduction, je pose plusieurs questions : « Que connaissez-vous comme marionnettes ? Qu’est-ce qu’une marionnette ? En avez-vous déjà fait ? » Je reformule les paroles des stagiaires, leur demande de valider ma bonne compréhension, puis note les idées sur un grand papier blanc au tableau : Guignol, Le doigt dans Shining. » Une stagiaire, Li, étudiante en hypokhâgne, évoque Heinrich von Kleist, un poète allemand du XIX e . Nous la formulons ainsi : « La grâce est dans un mouvement sans intention. La marionnette est sans intention. »

Après ces cinq minutes d’introduction, je propose que nous jouions avec nos mains en bord de table. La consigne est de faire un personnage, avec une entrée et une sortie, qui énonce «Tiens, le temps est gris aujourd’hui. » Je me lance en premier, en utilisant ma main comme une bouche pendant une dizaine de secondes. L’exercice est facile pour un stagiaire, G., qui fait un personnage avec ses deux doigts. Pour les autres, la mise à l’eau est moins évidente. Je précise que l’exercice n’est pas obligatoire. Deux stagiaires ne le feront pas. Je valorise chaque petit essai de quelques mots.
Deuxième exercice, cette fois avec un objet unique. Je propose qu’il y ait un changement d’état (heureux, triste) entre l’entrée et la sortie et Li suggère une mort, un suicide. Cette idée fait rire le groupe et tous semblent la trouver astucieuse car elle permet une sortie. Je choisis un cintre, je commence à nouveau et je le « suicide ». Tous les stagiaires essaient après que j’aie plus particulièrement sollicité Lou., une jeune stagiaire de 17 ans qui avait préféré ne pas s’exposer lors de la première présentation : « Eh, il est super ce bonhomme–compas ! Tu nous le présentes ? » Je m’oblige à nouveau à approuver chaque présentation par une petite congratulation.

Cette façon de s'exposer peut sembler ridicule et je veux rassurer les stagiaires, leur faire comprendre que quoi qu'ils jouent, ils seront approuvés par le formateur. Par ailleurs, au théâtre, il est d'usage de clôturer la représentation par un noir, par des applaudissements afin de rappeler, justement, qu'il s'agit d'une convention à laquelle le spectateur est invité à croire un instant.

À la fin de chacun de ces deux petits exercices, qui dureront une trentaine de minutes au total, je demande aux stagiaires d’identifier « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas », autrement dit les astuces et les bonnes pratiques. Je liste leurs idées sur le grand papier blanc en les reformulant parfois afin de vérifier ma bonne compréhension. Voici ce que l’on peut lire à l’issue de ces deux petits exercices. Voici ce que l’on peut lire à l’issue de ces deux petits exercices à propos des techniques :
Main nue : changer sa voix ; illusion de la parole mouvement ; être orchestré, une action après l’autre ; faire un univers cohérent ; la main ne peut pas redevenir main sans passer par une sortie. Objet seul : permet de nouveaux sons, objets fixes ou articulés, personnage mieux défini extérieur à celui qui l’anime.

De petites fabrications pour se lancer, moins simple qu’il n’y paraît !

J’initie ensuite la première fabrication sur le modèle de la marionnette papier toilette décrit en ces termes par Jacques Bompas dans les Petits cahiers de jeux et théâtre : « Axes de travail: découvrir le théâtre d’objets et les fondamentaux de la manipulation. Fabriquer le plus vite possible afin de consacrer un maximum de temps au jeu. Matériel : rouleaux vides de PQ ; bouchons de liège ; quelques bouts de tissus de couleurs et de textures variées ; des fins de pelotes de laine ; quelques plumes et des bouts de cuir… ; deux pistolets à colle. Avant proposition : Fabriquer le plus rapidement possible un « objet marionnette » pour jouer rapidement avec. On procède en deux temps :
– Coller le bouchon sur le rouleau comme indiqué sur le croquis. « Attention, c’est très rapide, je fais une marionnette en trois secondes ! Un rouleau de PQ pour le corps, un bouchon pour le nez.» Et tout de suite, je pose la marionnette ainsi réalisée sur une table et je joue avec pendant quelques secondes, puis chacun réalise la même opération.
– Personnaliser la marionnette avec un ou deux éléments collés.

Je parle à ma marionnette, je la nomme, je joue avec, et j’invite les stagiaires à en faire autant… mais la mayonnaise ne prend pas. Quand je les questionne, ils me répondent « C’est trop dur, c’est bizarre de parler à un objet. » Je propose que chacun se promène dans les locaux afin de présenter les lieux du stage à sa marionnette. Je leur demande de développer uniquement des sentiments agréables, tels l’affection, le réconfort, le rêve, la confiance, l’entraide… Cette formule, qui met à distance le regard de l’autre, est plus facile : les stagiaires se promènent et cherchent rapidement à se rencontrer et à faire discuter les marionnettes entre elles. L’exercice évolue donc : les manipulateurs font discuter les marionnettes entre elles et créent de brèves histoires. Je les invite enfin à essayer des sentiments plus désagréables, comme le dégoût, l’humiliation, la haine, la honte ou jalousie. J’y mets fin rapidement pour leur proposer un jeu : ils piochent un petit papier qui désigne un mouvement (glisser, voler, courir) que la marionnette doit effectuer. Les spectateurs devinent. Nous nous asseyons ensuite à notre table et discutons une nouvelle fois de « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas. » J’écris sur le grand panneau .

Marionnette PQ : peut tenir seule ; la rencontre marionnette/marionnette est plus facile qu’avec soi-même ; attention : regarder la marionnette et pas l’autre manipulateur ; l’énervement (émotion) rend l’action plus intense mais plus difficile de garder sa voix ; attention : ne pas être trop proches, savoir finir ; pour marcher balancement ; utiliser les bruitages (ex : essoufflement) ; prendre le temps, aller trop vite conduit au ridicule. Je leur fais découvrir les autres marionnettes que j’ai réalisées au préalable en carton seul, brocoli, papier journal, raquette de Ping pong… et rappelle rapidement les matériaux et outils à disposition. J’installe un grand paravent (4 mètres de large sur 1,5 mètre de haut). Quelques stagiaires tentent de petites saynètes improvisées derrière le paravent. Les histoires durent trente secondes à une minute. Je demande ensuite au groupe s’il y a des conseils à donner ou de bonnes idées qu’ils ont repérées. Nous faisons ensuite une pause de trente minutes.

Les contraintes aident à appréhender les richesses de l’activité

À la reprise, je leur demande de fabriquer leur marionnette en quelques minutes. Les finitions leur semblent importantes afin que la marionnette soit « réussie. » Au bout d’une dizaine de minutes, chacun semble avoir une marionnette dont il est fier. Je leur demande alors de former des duos et de bâtir une petite histoire de quelques secondes à deux minutes. Pour cela, je leur impose une nouvelle contrainte : s’inspirer d’un livre pour enfants ou des reproductions de tableaux qui ont été affichées dans notre espace documentation par les stagiaires qui l’ont aménagé le premier jour du stage. On y voit Bleu de ciel de Kandinsky, D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? de Gauguin, Un Soir de Carnaval de Rousseau, L’Eglise d’Auvers de Van Gogh, Cha-U-Kao de Lautrec, Le Repas du Lion de Rousseau et Pommes et oranges de Cézanne.

Je leur annonce que ceux qui le souhaitent pourront présenter leur histoire en fin d’atelier. Je leur propose qu’on se retrouve dans 30 minutes mais ils m’annoncent que 20 minutes sont bien suffisantes. J’en suis ravi ! Après ce temps de préparation, nous nous retrouvons à nouveau autour de notre grande table centrale d’où nous pouvons voir le théâtre de marionnettes (le paravent). Les trois duos présentent leur petite histoire à tour de rôle. Systématiquement, je les applaudis et les félicite « c’était touchant » « bien joué » « ah, bravo, bravo. » Toujours, il s'agit pour moi de montrer que les stagiaires ne peuvent pas échouer lorsqu'ils font du théâtre. Cette fois-ci, comme la représentation a fait l’objet d’un investissement plus conséquent (fabrication de la marionnette, personnalisation et préparation d’une histoire), je ne sollicite pas de retour critique de la part des spectateurs. Je ne veux pas prendre le risque d'un retour dévalorisant à ce stade car je sais que la séquence des représentations se termine. Le temps de formation touche à sa fin et je veux éviter qu'un stagiaire qui se serait exposé et « mis en danger » finisse avec une remarque qui pourrait  blesser.

À l’issue des trois représentations, je demande alors aux stagiaires quelles ont été les bonnes trouvailles et « ce qui marche. » J’élude volontairement « ce qui ne marche pas. » Je souhaite que l'on construise un message clair que les stagiaires retiendront facilement. Je choisi donc d'axer ma conclusion sur les « bonnes idées, » quitte à finir sur un propos un peu simpliste. À ce stade, je veux également éviter de ré-ouvrir le débat. J’écris sur un nouveau grand tableau de kraft blanc les remarques qui fusent. Création d’histoire, représentation : Sources d’inspiration : les personnages, une image (et non une histoire déjà construite). Penser à : − éléments de décors ; − mise en scène : déplacements, intentions, accents… ; − utiliser la profondeur ; − voix off, apartés ; − situations comiques ; − temps courts, importance de la fin, seulement deux personnages ; − manipulateur caché qui aide à se mettre dans l’histoire.

À la fin de l’atelier, je demande aux participants s’ils ont aimé, ce qui était bien et moins bien. Il ressort effectivement que le début de l’atelier a été difficile : ils ont moins de gêne avec des objets et l’interaction entre marionnettes qu’avec leur corps « en direct. » Il leur semble ainsi plus facile de « se prendre au jeu » au travers d’un objet. Je termine en affichant avec eux nos deux grands panneaux dans la salle plénière du stage. Serais-je le principal apprenant dans cette affaire ? En me documentant sur le jeu de marionnettes, en pensant ce temps de formation et en le vivant, j'ai modifié mes pratiques et acquis de nouveaux savoir-faire. En menant la démarche, j'ai été celui qui impulse, déclenche, et partant anime, devant m'adapter aux personnes et à leurs envies. Je finis le stage confiant, avec le désir de jouer aux marionnettes à nouveau, et avec des enfants.