La biblio du pédagogue : " Le Jeu de peindre" de Arno Stern

À la (re)découverte de Arno Stern, auteur de "Le Jeu de Peindre", un ouvrage pour mieux comprendre un enfant qui dessine
Arno Stern est né en 1924 à Kassel (Allemagne), dans une famille juive. En 1933, pour échapper au nazisme, ses parents s’installent en France. Rattrapés par la guerre, ils se réfugient en Suisse. Au sortir de la guerre, Arno Stern est animateur dans un orphelinat. En 1950, il ouvre un atelier de peinture récréative à Paris, l’Académie du Jeudi, qui deviendra en 1986 le Closlieu. Il a publié de nombreux ouvrages, traduits dans le monde entier.
Média secondaire

Le Jeu de Peindre est la synthèse de la pratique d’une vie, celle de son auteur, animateur d’un atelier de peinture, « praticien-servant du Jeu de Peindre » comme Arno Stern se nomme lui-même. 

C’est le livre-somme de ses découvertes

 

L’animateur se refuse à toute leçon. Son travail obstiné consiste à s’assurer d’un climat de quiétude et des conditions matérielles de ceux qui peignent.

 

Ce qu'il y a de singulier dans l’approche de l’activité de peinture

La pratique est muette, le lieu aveugle. Des enfants d’âges divers peignent quiètement, tout à leur affaire, les uns à côté des autres, sur de grandes feuilles blanches punaisées aux murs d’une pièce sans fenêtre. Ces murs sont couverts de traces rectilignes de différentes couleurs, débordements accumulés et enchevêtrés des peintres qui se suc- cèdent dans la pièce. 

L’animateur se refuse à toute leçon. Son travail obstiné consiste à s’assurer d’un climat de quiétude et des conditions matérielles de ceux qui peignent. Il est le servant de l’activité. Il prend un soin particulier à punaiser à hauteur de regard de chacun les grandes feuilles blanches, à alimenter les godets de peinture. Il veille à ce que les enfants chargent et rechargent correctement l’un des trois pinceaux disponibles pour chacune des dix-huit couleurs proposées. Les godets de peinture sont disposés au centre de la pièce sur un étrange meuble, la table-palette. Les participants vont et viennent, de leur feuille au meuble, du meuble au mur. 

Les enfants, les adolescents et même les adultes peignent ce qui sort de leur tête, en toute liberté, sans technique préalable ni commentaires autre qu’un soutien matériel bienveillant. Quand le tableau est terminé, Stern sort son couteau de sa blouse pour ôter les punaises et mettre la peinture à sécher. Une nouvelle feuille est punaisée. Le jeu de peindre reprend.

 

Peindre un acte profondément humain

Au fil du temps, Arno Stern discerne, dans les milliers de réalisations produites, des figures récurrentes qu’il catégorise : figure ronde, carrée, croix, peignes, échelles… Pour lui, ce sont là des éléments d’un langage qu’il appelle la « formulation ». Il en repère les âges et étapes d’apparition, les évolutions, de la complexification à la réitération. Ce langage est naturel au petit humain. Stern insiste sur l’irrépressible nécessité auquel répond le jeu de peindre, celle de la trace, puisée à la source de la mémoire organique. La mémoire organique est un substrat, humus de nos premières an- nées, inaccessible à l’intellect et que la formulation permet de retrouver et d’exprimer. 

La « formulation » est un moyen d’expression que des voyages à l’étranger vont lui permettre d’affirmer comme universel par la récurrence des formes qu’il retrouve dans les productions d’enfants plongés dans des conditions similaires dans d’autres régions du monde. Il dit aussi que cette expression naturelle, cette faculté de peindre sans entrave dis- paraît bien souvent, passée l’enfance. Sous le poids des regards portés, des pré- jugés, d’occasions disparues, de conditionnement éducatif. Il dit encore que ce n’est pas irrémédiable et que nous pouvons retrouver ce plaisir en réunissant un certain nombre de conditions : une forme de lâcher-prise et de centration sur soi sans compromis pour le pratiquant, et la mise à l’abri par l’encadrant : Closlieu, absence de commentaires et d’exposition. Pour Stern, le langage de la trace est une constituante de notre humanité et sa disparition une fois l’âge venu est une forme d’amputation liée à la société de consommation et de compétition