La parentalité : ça se partage !

Rencontre avec Daniel Coum, psychanalyste et intervenant en analyse de pratique professionnelle dans les institutions. Il défend la co-éducation.
Daniel Coum est né en 1958 à Toulon. Il a été animateur puis directeur de centres de vacances et formateur d’animateurs. En 1981, il obtient un Master 2 de psychopathologie puis exerce en tant que psychologue clinicien dans différentes institutions : IME, MAS, PFT et PFS. Il dirige depuis 1995 les services de l’association Parentel (structures d’aide à la parentalité et de soutien des liens familiaux tout au long de la vie.) Maître de conférences associé en psychopathologie et psychanalyse de 2015 à 2021, il exerce comme psychanalyste en libéral depuis 2019. Auteur de nombreux ouvrages, dont Paternités : figures contemporaines de la fonction paternelle Éd. EHESP et Repères pour le placement familial Éd. Erès, il intervient également en analyse de pratique professionnelle dans les institutions.
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Ven : Était-il plus facile d’être parent avant ? 

Daniel Coum : Oui, si l’on parle de l’angoisse et de la charge mentale qu’ils supportent aujourd’hui. Cette difficulté d’être parent a été reconnue officiellement en 1998 quand la Délégation interministérielle de la famille a travaillé sur les dispositifs d’appui à la parentalité. Pour la première fois, on affirmait que les parents avaient besoin d’être aidés et pas seulement pour éviter le pire et éduquer «les sau- vageons » que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, pointait du doigt mais parce que, dans l’état de la société, tous les parents éprouvaient des difficultés à être parents.

Ven : Cette difficulté est-elle spécifique à notre époque ? 

D. C. : Jusque dans les années 60 nous étions dans une société où la loi collective, qu’elle soit laïque ou religieuse, faisait référence pour tout le monde, et donc aussi pour les parents. La société dictait la trame de nos vies. Pour répondre aux questions qu’est-ce qu’être un homme, une femme, une mère, un père, un fils ou une fille de, on pouvait se référer à la feuille de route transmise par les parents, les grands-parents, etc. C’était aliénant. C’était aussi pour une part rassurant, car quand les individus sont assignés à des places, à des tâches, à des identités, ils se posent moins de questions. Aujourd’hui, chacun et chacune écrit sa propre partition. « Chaque un » et « chaque une » revendique le droit de construire sa propre trajectoire, d’apporter ses propres réponses aux questions existentielles qu’il ou elle se pose. Ce grand mouvement de liberté qui permet d’improviser et de créer sa vie, cela va donc de pair avec plus d’inquiétudes et pour certains une grande angoisse.

Le risque est que l’enfant, pour combler le désir de son parent, arrive exactement à la place où le parent l’attend, ce qui n’est pas pour lui supportable.

 

Ven : Mais n’y a-t-il pas, quelle que soit l’époque, une difficulté à être parent ?


D. C. : Il y a en effet toujours un écart entre ce que l’on veut pour son enfant et sa réalité. L’enfant n’arrive jamais à la place où on l’attend, ne répond pas à ce que l’on attend de lui et c’est très bien ainsi ! Comme le soulignait déjà Freud, l’amour parental est narcissique, c’est-à-dire que le parent aime son enfant en attendant que ce qu’il deviendra le comble de bonheur. Et cela échoue toujours un peu car l’enfant devient ce qu’il doit devenir. Or, avec l’évolution des mœurs, dans un contexte où l’ordre du collectif s’efface et laisse une large place à ce que veulent les individus, le désir parental devient prépondérant. L’enfant se retrouve soumis à la loi du désir plutôt qu’à la loi sociale. Le risque est que l’enfant, pour combler le désir de son parent, arrive exactement à la place où le parent l’attend, ce qui n’est pas pour lui supportable.

 

Ce qui soutient les parents, c’est le lien social dans lequel ils sont inscrits comme adultes. 

 

 

Ven : Cela signifie-t-il que l’enfant est surinvesti ou « trop aimé » ?

 D. C. : Si « tout enfant a besoin d’être aimé », comme le rappelait John Bowlby à la sortie de la seconde guerre mondiale, quand tant d’enfants étaient livrés à eux-mêmes, cet attachement n’est jamais qu’un moyen qui va lui per- mettre de se séparer. Le surinvestisse- ment actuel de l’enfant rend difficile cette séparation. Pour que l’amour des parents pour leur enfant ne soit pas dans l’ordre du « trop », il faut que l’éducation soit partagée, c’est-à-dire que le parent autorise d’autres d’autres parents mais plus largement d’autres éducateurs à intervenir. Il est essentiel que l’enfant ne soit pas enfermé dans le pouvoir d’un seul

Ven : Quelle doit être alors la place de la co-éducation ? 

D. C. : Il existe un courant néolibéral de l’aide à la parentalité qui exploite et renforce ce besoin narcissique des parents en prétendant aider les parents à être plus compétents, plus performants, plus « positifs », ou à devenir la mère ou le père qu’ils et elles voudraient être. Il y a là pourtant un impossible qui conduit au burn out parental. L’esprit qui anime les intervenants des lieux d’accueil enfants-parents, des cafés des parents et plus largement des REAAP (Réseaux d’écoute et d’accompagnement des parents) est tout à fait différent. Les parents y sont autorisés à ne pas « tout pouvoir » pour leur enfant. Cette conception de l’aide à la parentalité part du principe que les parents ne peuvent ni ne doivent tout faire et même qu’une des compétences d’un parent est d’assumer les limites de ses compétences. Puisque le destin d’un enfant est de s’ouvrir au monde et d’aller chercher ailleurs ce qu’il ne trouve pas à la maison, la limite des compétences des parents permet cette ouverture. Autrement dit, un enfant, ça se partage. C’est peut-être là la définition la plus juste et la plus concise que l’on puisse donner de la parentalité.

Ven : Qu’entendez-vous par « un enfant se partage » ? Nos sociétés sont- elles prêtes à entendre cela ? 

D. C. : Ce qui soutient les parents, c’est le lien social dans lequel ils sont inscrits comme adultes. De nombreuses sociétés fonctionnent en don- nant à l’enfant plusieurs figures parentales, bien plus qu’un seul père et une seule mère. Le proverbe africain le rappelle. Or, notre vision de la famille reste encore soumise au principe édicté par la religion catholique : un seul père, une seule mère et pas un de plus ! Or les familles ne sont plus ce qu’elles étaient. De sorte que pour l’éducateur ou l’éducatrice, à la crèche, sur un stade de foot, dans une classe, en accueil périscolaire ou en colo, il s’agit de revisiter ses représentations traditionnelles du « bon parent » ou d’une « bonne famille » et de s’interroger sur sa propre place dans l’éducation d’un enfant. Sommes-nous là par défaut, pour pallier un déficit parental, ou à notre place, comme figures parentales et éducatives, partageant la responsabilité de l’éducation de l’enfant « avec » ses parents ? Je pense que nous n’intervenons pas en remplacement ou en suppléance « puisque les parents ne sont pas là, alors on s’en occupe » mais parce qu’il y a nécessité d’un « partage » de l’enfant, au sein d’un réseau social qui prend en charge la responsabilité de l’enfant.

La coéducation suppose, dans l’intérêt des enfants, que les adultes impliqués, parents et éducateurs, soient respectueux les uns des autres et si possible fassent alliance.

Ven : Quelle doit être la posture des professionnels pour ne pas « juger » ? 

D. C. : La co-éducation éduquer un enfant à plusieurs suppose, dans son intérêt, que les adultes impliqués, parents et éducateurs, soient respectueux les uns des autres et si possible fassent alliance. Cela suppose de ne pas juger ou disqualifier, ni les parents ni les professionnels, d’accepter les différences et les respecter. Bien sûr, il s’agit d’une ambition exigeante, difficile, mais on peut s’orienter vers cela. Les professionnels ne doivent jamais perdre de vue que l’enfant est le représentant de ses parents et les « porte » en lui. Cela veut dire qu’un jugement négatif émis à l’encontre de ses parents, ou à l’encontre des adultes significatifs parce qu’ils ont participé à sa construction, lui fera mal parce qu’il y a quelque chose d’eux en lui. Respecter ce lien de loyauté est essentiel, ce qui suppose d’accepter par exemple que ce que les parents ne savent pas faire, ne peuvent pas faire ou ne veulent pas faire, et bien, d’autres le feront. Finalement, les professionnels ont à assumer le fait qu’ils portent cette responsabilité en partage avec d’autres, dont les parents. Non pas en concurrence mais en complémentarité. En ce sens c’est à la collectivité, et non pas aux seuls parents, qu’incombe la responsabilité de chaque enfant.

Dossier "Etre parent en 2024"

D’où viennent les incertitudes parentales ? À quelles mutations sociétales doit-on « l’accompagnement à la parentalité », aux expressions parfois contradictoires, devenu aujourd’hui un axe majeur des politiques familiales ?
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