Impliquer les parents dans l’école, c’est d’abord les reconnaître comme coéducateurs

La recherche CIPES implique les familles en grande précarité et les enseignant·es pour construire une coopération entre ces acteurs et actrices. Présentation.
Média secondaire

La recherche participative CIPES (Choisir l’Inclusion Pour Éviter la Ségrégation)1 est née d’un constat, celui du lien entre grande pauvreté et orientation dans des dispositifs et filières spécialisées2. Pour lutter contre ce déterminisme, CIPES permet à des écoles volontaires de mettre en place un projet dont l’objectif est d’examiner les obstacles qui empêchent les élèves des familles vivant dans la grande pauvreté de réussir à l’école, puis de proposer des leviers pour éradiquer ces divers empêchements. Car en 2024, en France, 3.5 millions d’enfants et de jeunes vivent dans une famille qui vit sous le seuil de pauvreté. Parmi ces 3.5 millions, 1.6 million vit dans une famille dans la grande pauvreté3

Dans les 13 écoles qui travaillent ainsi, il est presque systématiquement question d’interroger la relation aux familles. En quoi la coéducation peut-elle favoriser la réussite des élèves ? Se pencher sur cette thématique particulière, c’est d’abord refuser de valider un préjugé, selon lequel ces parents plus que d’autres seraient démissionnaires. Ils ne se préoccuperaient pas de la scolarité de leurs enfants, de leur parcours, de leur orientation…. Or, à travers toutes les actions menées par ATD QM autour de l’éducation, ce qui ressort, c’est qu’ils sont au contraire très attachés au parcours scolaire et à la réussite de leurs enfants. Mais ils n’ont pas les mots, ils n’ont pas cette connivence avec l’école que possèdent les parents des milieux plus favorisés. Geneviève Defraigne-Tardieu écrit ceci « Le conflit culturel est le désavantage que subissent les élèves lorsque leur culture familiale n’est pas accordée à celle que suppose la réussite scolaire. »

A l'école, en finir avec la stigmatisation des familles en grande précarité

C’est de là que vient le malentendu. Pour la plupart, ces parents ont eu un parcours scolaire extrêmement chaotique, et en gardent souvent des traumatismes. C’est ce qui les empêche de venir à l’école, de répondre parfois à vos sollicitations : ce n’est pas du désintérêt, c’est un blocage pour nombre d’entre eux. Et les récits que les militant·es nous ont livrés4 dans le cadre de CIPES en sont la preuve : tous et toutes, dans ce groupe, gardent des souvenirs négatifs de l’école : exclusion, humiliation, mise à l’écart, mauvais traitements, échec scolaire…. Parce que les personnels enseignants sont considérés comme des professionnels qui vont permettre à leurs enfants d’avoir une vie meilleure que la leur, les premiers mots, le premier regard, la manière d’accueillir ces parents est absolument fondamentale. Ça change tout pour la mise en confiance réciproque. La façon dont l’école s’adresse à eux est très importante, car les adultes qui vivent la grande pauvreté sont des personnes profondément marquées par des paroles stigmatisantes et blessantes, par des questionnaires intrusifs, à longueur de journées.

Alors comment faire pour que tous les parents, dont ceux qui vivent dans la misère, viennent à l’école sans contrainte, en dehors de toute convocation ? Avec les chercheur·es, les équipes enseignantes et les militant·es, nous avons travaillé récemment sur la notion de coéducation et donc de coopération école/familles. Ce qui ressort de nos travaux, c’est que pour coopérer, il faut d’abord interroger les obstacles et tenter de les lever. Par exemple, il faut trouver des solutions pour que des parents, et en particulier les mères de très jeunes enfants, puissent se libérer pour participer à une réunion, à une activité. D’autre part, il ne faut pas négliger les problèmes d’analphabétisme et d’illettrisme, qu’il n’est pas facile de déceler. La maîtrise insuffisante du français peut également faire blocage mais des outils5 permettent aujourd’hui de réduire cet empêchement à communiquer en proposant la traduction des messages à destination des familles. 

Une fois les obstacles levés, ce qui va permettre ce que Benoît Falaize a nommé « la revalorisation sociale des parents » à l’œuvre dans les écoles engagées dans CIPES, c’est un ensemble de dispositions, de mécanismes et d’outils. 

Il faut ainsi associer les parents dès le début d’un projet : les inclure dans la boucle de réflexion dès le départ permet de mieux les impliquer tout au long de cette action et d’en partager avec eux les objectifs. Envisager les choses de cette manière, c’est s’assurer une bien meilleure participation, plus efficace que celle qui consiste à ne demander de l’aide aux parents que pour des actions ponctuelles, et dont le sens peut alors leur échapper, y compris d’un point de vue pédagogique. 

La notion de respect et d’écoute est très importante pour que les parents osent venir et s’engagent dans des actions. C’est la notion d’égale estime qui est en jeu alors. Ce qui importe en effet c’est de considérer que les parents disposent de savoir-faire, de compétences, et en faire bénéficier l’école leur confère une légitimité. Cette reconnaissance a d’ailleurs un impact sur leurs enfants, qui en ressentent de la fierté. 

C’est aussi, dans une école maternelle, une nouvelle forme de rencontre individuelle avec les familles. En effet, l’institution exige des rencontres en début d’année, qui se font le plus souvent sous forme d’une réunion d’ information collective à l’occasion de laquelle les enseignant·es vont, le plus souvent, expliquer aux familles ce qu’ils et elles en attendent, voire donner des instructions sur des manières de faire/ne pas faire avec leurs enfants. L’une des écoles CIPES a décidé de fonctionner autrement. En particulier pour la première rentrée des tout petits, les parents sont reçus individuellement. Et l’entretien démarre ainsi : "Vous connaissez votre enfant depuis trois ans. Moi je ne le connais pas encore. Dites-moi ce que je dois savoir pour que la scolarité de votre enfant se passe bien. "

Cette entrée en matière, qui place les parents comme coéducateurs reconnus par l’enseignante, fait toute la différence. Très vite, l’équipe enseignante a remarqué que les relations étaient beaucoup plus fluides, que les parents n’hésitaient plus à s’adresser à elle, et que lorsqu’il y avait conflit, il était résolu plus facilement qu’auparavant. La relation de confiance instaurée dès le départ permet cela. 

D’autant que ce partenariat avec les parents est essentiel aussi pour les enfants. Les incompréhensions, les malentendus, qui existent entre ces parents et l’école situent les enfants dans un écartèlement entre deux mondes qui ne se rencontrent pas : celui de l’école et leur environnement social. Mettre un enfant dans un tel conflit de loyauté, c’est l’empêcher d’apprendre6, c’est le sommer de choisir. Peut-on lui reprocher de choisir sa famille et de ne pas « devenir élève » suivant l’expression souvent employée ?  

La recherche-action CIPES permet une meilleure compréhension parents-enseignant·es

D’autres dispositifs sont à l’oeuvre dans CIPES et les premiers constats sont positifs dans l’ensemble : les sollicitations de parents jusque-là restés en dehors de l’école, les complicités naissant autour d’une activité parents/enfants (les jeux de société), le partage des savoirs, le faire ensemble, apportent indiscutablement une meilleure compréhension. 


Coopérer, accorder une vraie place à la coéducation, cela exige un changement de paradigme, certes, mais puisque l’objectif est de faire alliance pour la réussite des élèves, cela mérite d’être tenté !

 

Notes

  1. Voir l’entretien avec Marie-Aleth Grard sur Yakamedia
  2. Sylvie Tolmont, rapport à l’Assemblée nationale : « les élèves de SEGPA appartiennent pour 72 % d’entre eux (40 % pour tous les collégiens) à des catégories socioprofessionnelles défavorisées »
  3. En France, le seuil de pauvreté est de 965 euros ou de 1 158 euros par mois, selon qu’il est fixé à 50 % ou à 60 % du niveau de vie médian. Une personne est considérée comme pauvre lorsque ses revenus sont inférieurs à ces montants. 
  4. Voir les récits dans les Lettres CIPES 17 à 20
  5. Plusieurs écoles engagées dans CIPES recommandent Klassly, très simple d’utilisation.
  6. Jean-Paul. Delahaye (2022/3), École, élèves des milieux populaires et conflits de loyauté, Administration & Éducation , N° 175, p. 99-106