Les pratiques informationnelles des jeunes et de leurs rapports aux fausses informations (suivi des pratiques)

Rapport de l'observatoire 2017 des pratiques numériques des jeunes, réalisé par Sophie JEHEL.  (Dispositif Education Aux Ecrans de la Région Normandie avec les Ceméa, le rectorat, Canopé et l'enseignement agricole)
Média secondaire

 

Le dispositif Education aux écrans prévoit une phase d’enquête qualitative auprès d’une cinquantaine de jeunes inscrits dans le dispositif, conduite selon une méthode d’analyse sociologique. Cette enquête, conduite par une personne extérieure aux interventions qui sont le cœur du dispositif, permet d’avoir des échanges en terrain « neutre », protégés par un engagement de confidentialité sur les propos tenus, et de suivre l’évolution des comportements des adolescents sur internet. Pour assurer la confidentialité des propos, les adolescents ont choisi un pseudonyme éloigné de leur prénom dans les entretiens, il sera, sauf exception (lorsque les adolescents garçons ont pris un pseudonyme féminin pendant l’entretien, ou réciproquement pour des filles, nous l’avons modifié dans le présent rapport pour plus de lisibilité). Nous avons également modifié les pseudonymes qui étaient identiques dans différents entretiens.

 

L’enquête repose sur le volontariat. Les établissements qui accueillent l’enquête sont choisis parmi ceux qui participent au dispositif, mais ils sont volontaires et les jeunes qui viennent aux entretiens le sont généralement. L’échantillon constitué ne vise donc pas une représentativité des adolescents normands, mais à une compréhension fine de la situation des adolescents face aux plateformes numériques et à une comparaison de leur situation selon les filières de formation et leurs milieux sociaux d’origine. Ces entretiens viennent en complément d’indications chiffrées dont nous disposons grâce au questionnaire passé dès la première étape du dispositif Education aux écrans.

 

Dans le présent rapport nous appuierons donc nos analyses principalement sur les entretiens qui ont été réalisés tout en contextualisant ces entretiens grâce aux données d’usage des TIC obtenues dans l’enquête quantitative.

Les réponses qui sont ici analysées sont déclaratives. Elles peuvent sans doute être différentes des pratiques réelles, l’avantage de la méthodologie qui consiste à combiner l’analyse quantitative et qualitative est qu’elle permet de comprendre la façon dont les enquêtés envisagent leurs propres pratiques et d’éclairer les réponses quantitatives par les entretiens et réciproquement. Cet observatoire nous informe donc sur les représentations et les normes des adolescents plus que sur leurs pratiques réelles qui peuvent être moins maîtrisées qu’ils ne le disent et diverses selon les situations. Pour capter la diversité des situations, nous leur avons proposé des réponses multiples dans le questionnaire quantitatif, chaque fois que cela était possible.

 

Echantillon de l’enquête qualitative

Quatre établissements correspondant à des filières et à des types de recrutement différents ont participé à l’enquête : un lycée général et technologique, de recrutement scolaire et social intermédiaire, un lycée professionnel (filières vente, service à la personne), une maison familiale et rurale (MFR, filières équine et agricole), un CFA (filières cuisine, brasserie). Dans chaque établissement 3 entretiens ont été conduits avec 5 jeunes à chaque séance. Au-delà de l’utilité de ces entretiens pour la recherche et la connaissance des dispositions des jeunes vis-à-vis des plateformes numériques, ces entretiens ont été très bien accueillis par les adolescents. Ils ont peu d’occasion de parler et de parler librement de ce qui se passe dans leur vie numérique, de l’articuler à la fois à leur formation, à leurs objectifs professionnels, à leur sociabilité amicale. Ils sont placés dans une position valorisante, du fait de l’utilité de leur témoignage, ils ont le sentiment d’être écoutés. Au total, 60 jeunes ont été rencontrés répartis à peu près à parité entre filles et garçons.

Les entretiens semi-directifs ont duré une heure pour chaque groupe, ils ont eu lieu entre le 7 et le 15 mars 2017. Les ¾ des entretiens se sont déroulés avec des jeunes inscrits dans des filières professionnelles. Ces jeunes sont inscrits en seconde (en lycée professionnel), ou en 1ère année (CFA ou MFR) après la troisième, voire après d’autres formations. Ils ont entre 15 et 18 ans, leurs parents appartiennent aux milieux populaires et intermédiaires, ouvriers, employés mais aussi petits commerçants. Ces entretiens comme ceux de 2015 sont donc tournés principalement vers les jeunes de milieux populaires. L’échantillon de 15 jeunes en Lycée général et technologique donne quelques indications pour une comparaison entre les pratiques numériques des jeunes des filières professionnelles et celles des jeunes de filières générales, dont les différences sont sensibles surtout en matière d’information.

 

Vous pouvez télécharger le rapport ci-dessus en version PDF, ou le consulter sur le site educationauxecrans.fr http://educationauxecrans.fr/index.php/le-dispositif/observatoire-des-pratiques-des-jeunes

 

En voici néanmoins les conclusions générales…

Les adolescents rencontrés ont des pratiques numériques intenses. Le nombre de comptes qu’ils ouvrent sur les RSN tend à s’accroitre, Facebook reste en tête des plus utilisées même si d’autres plateformes comme Snapchat occupent une position très concurrente. Ils y sont en relation avec un nombre toujours croissant de contacts. La moitié de ceux qui ont un compte sur Facebook ont entre 150 et 500 « amis ». Sur Snapchat, la majorité de ceux qui ont un compte ont plus de 40 contacts (près des 2/3 des filles en LGT).

 

Au-delà de l’effet de mode, d’imitation des comportements de la majorité, les adolescents sont à l’affût de nouvelles relations, d’une façon de découvrir le monde en image, d’avoir une existence publique, de construire leurs identités numériques. Mais la vie qu’ils y mènent s’avère dure pour les plus fragiles, qui sentent à tout moment qu’ils peuvent être critiqués, moqués, voire menacés. Les appréhensions des filles se situent à des niveaux toujours plus élevés. Elles sont deux fois et demi plus inquiètes des risques de harcèlement que les garçons. Elles savent qu’il faut « faire attention », mais ont compris aussi que quoi qu’elles fassent elles pouvaient recevoir des remarques désagréables, des demandes ou des photos intempestives.

 

Certains, surtout les plus vulnérables, les moins habiles avec l’informatique, en ressentent de la déception pour ne pas dire de la relégation. Le fait de se sentir dépassé par la multiplicité de l’information, dont les sources ne leur semblent pas fiables incite les plus méfiants à adhérer à des solutions simplistes. La méfiance généralisée à l’égard des médias et des politiques peut se comprendre comme une façon de reprendre la main sur des événements anxiogènes, et de faire payer aux politiques le sentiment d’insécurité que causent notamment les attentats. Insécurité cognitive et anxiété du fait du contexte terroriste se mêlent ainsi pour favoriser une attitude de méfiance généralisée, qui peut être un terreau pour des thèses farfelues.

 

La régularité des agressions verbales sur internet, la médiatisation des drames liés au harcèlement, encourage certains dans un sentiment d’impuissance et de fatalisme, qui les incite à croire qu’aucune régulation des plateformes n’est possible. Ils semblent au contraire favorables à un renforcement de l’accompagnement parental, la fixation de limites extérieures tant en termes de l’âge de l’accès à internet et aux plateformes, que de périodes de déconnexion. Ils sont apparus très reconnaissants d’avoir eu l’opportunité de réfléchir collectivement, mais en petit groupe, à ces questions.