Plaidoyer pour la poésie

La poésie est un parent pauvre de l’animation et renvoie à une représentation scolaire et rébarbative. Pour briser ce schéma, brouiller cette image existent des dispositifs et de nombreuses propositions qui aident à sortir ce genre littéraire de l’ornière.
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Média secondaire

La poésie a souvent peu droit de cité dans l’univers de l’animation et pourtant les occasions d’embraser la langue à travers des dispositifs nationaux peu connus et, si connus, peu usités sont nombreuses. En effet, le printemps des poètes, la semaine de la langue française et d’autres manifestations proposent d’embrasser la langue et d’en jouer avec toute la verve dont sont capables les enfants.

Il s’agit de désacraliser, de démystifier cette approche particulière des mots. D’autre part des pistes originales et simples à mettre en place doivent permettre aux équipes d’animation d’aborder cette activité comme les autres au travers d’une multitude d’accroches ludiques propres à renverser la tendance.

Que fleurissent les poèmes sur tous les murs de l’animation !

« Partout, en tous pays et dans toutes les langues, des poèmes s’improvisent, se composent, se disent ou s’écrivent. Ces chants, ces invocations, ces exorcismes, ces textes sacrés ou profanes, ces cris de révolte, ces blasphèmes, ces jeux, ces litanies d’amour, ces déplorations, ces visions lumineuses ou sombres, qu’on les nomme ou non poèmes, participent d’un même élan, d’une même ardeur. Avoir recours à la parole et aux mots pour créer un alliage de sens et de sons qui excède les limites du langage
qui semble une pratique commune sans rien jamais de commun, puisqu’il s’agit d’expériences  exceptionnelles ou banales, mais transmuées en créations singulières. Qu’est-ce donc que cette activité qui ne se connaît pas de frontières alors qu’elle requiert une multitude de passeurs ? Qu’est-ce donc que la poésie ? »

Ces lignes sont extraites des premières pages de la revue Europe de mars 2002 qui titrait son numéro :  L’Ardeur. Le Printemps des poètes reprend la thématique pour son édition 2018 et à cette occasion il me  semble important de saisir les mots au bond pour parler de la place de la poésie dans les formations à l’animation en vue de l’essaimer non seulement au sein des ACM et du périscolaire d’aujourd’hui mais aussi dans tous les espaces et instants d’animation. Comment l’ardeur de la poésie peut-elle se traduire dans ces espaces de vie collective, comment l’intime de chacun.e peut-il s’affirmer sans exhibition, sans gêne ?

Grâce aux dispositifs, varier les plaisirs

La semaine de la langue française et de la francophonie, à travers sa campagne annuelle Dis-moi dix mots offre l’occasion de se confronter à l’âpreté de notre langue. Cette année à travers le corpus proposé (accent, bagou, griot, jactance, ohé, placoter, susurrer, truculent, voix, volubile) ce marronnier aborde la multiplicité des formes, la résonance des mots, leur reflet sur l’oreille, leur familiarité et constitue pour les  équipes une formidable rampe de lancement pour initier une série de péripéties poétiques. Trouver une multitude de façons d’entrer dans l’intérieur des mots, dans leur richesse, les fréquenter, en découvrir l’aube et le crépuscule, le lit et les berges, pétrir cette matière avec le malin plaisir de la faire parler. Aller au-delà des jeux d’écriture qui pour paraître simples n’en sont pas moins des instruments implacables d’une discrimination insidieuse et sournoise, on ne joue bien avec les mots que lorsqu’on a appris à jouer. L’approche doit être sensible, à quoi ça fait penser (sens et sons) ? Les utiliser chacun avec un sens qui naît à l’instant comme le mot schtroumpf dans des figurations monochromes, tenter d’en donner une définition loufoque, trouver des contraires et dans le melting-pot de cette récolte partir pour mister dada ou pour miss surréalisme sans cherche à produire quelque chose de sensé mais plutôt de senti, de ressenti. Pour atteindre à la poésie, nul besoin d’échelle, juste laisser aller les mots qui se pressent, les laisser sortir, les précipiter dans l’atmosphère. Mais cela passe par de nombreuses entrées en écriture, en poésie. Je pense tout particulièrement à l’ouvrage de Bernard Friot (publié chez La Martinière Jeunesse) :
L’Agenda du (presque) poète qui présente une consigne d’écriture poétique par jour de l’année ou à celui de Rue du Monde (Le petit Oulipo), ce sont deux opus qui sortent de l’ordinaire et qui redonnent à la poésie sa vraie place de trublion. Et quel plus bel endroit que le tiers-état de la coéducation et sa kyrielle de situations pour expérimenter une autre façon d’écrire et d’apprivoiser les renards bleus des steppes de la poésie.

Cemea

Partout sous toutes ses formes la poésie raisonne

Bien évidemment, les possibles ne sont pas similaires selon l’organisation, le moment de la journée et le temps dont on dispose. Si les temps périscolaires sont courts ou très courts, je préconise quelque chose autour des listes (jouets, chanteur.ses.s, aliments, héro.ïne.s, jeux vidéo) une affiche. Chaque jour, celle ou celui qui le veut ajoute un ou plusieurs item qui au bout de la semaine, du mois, du trimestre, de l’année (on change de thème à volonté) donnent une constellation de mots tenus par un point commun et auxquels on a ajouté de temps en temps notre raton-laveur, intrus dans la liste. Ou alors, chaque jour, proposer une entrée simple et répétitive (un jour, comme d’habitude, je me souviens, hier soir, sur le fil, dans ma tête) renouvelable à l’infini et dès que vient une idée à quelqu’un.e, hop il note.

La poésie orale, sonore permet aux enfants qui n’écrivent pas couramment de s’inviter au festin. Choisir un thème, un mot ou une phrase, un déclencheur (images, photographies, dessins), donner la parole à chacun.e, noter scrupuleusement ce qui est dit et en direct le collectif produit un texte très poétique. Faire résonner les mots qui se ressemblent, que l’on invente, confond, les mots qui cognent (ouille, aïe, vroum, bang) laisse aussi la place à chacun. e dans un engrenage cacophonique ou mélodieux qui finit par faire  texte. Écrire pour les plus petit.e.s (et pour les autres) c’est aussi dessiner, utiliser des photos, découper, déchirer, coller...

C’est pourquoi je ne peux boucler ce premier tour de piste sans citer toute la série des collages possibles et imaginables (neige de mots découpés par l’animateur.trice qu’on laisse virevolter sur Pratiques pédagogiques les enfants en montant sur la table pour bâtir un texte que l’on n’aurait jamais écrit dans  d’autres conditions, remplir de mots découpés par les soins des participant.e.s une surface sans laisser de blanc, décider d’un thème ou d’une couleur avec pour contrainte de ne sélectionner que des mots lui  appartenant.

En animation volontaire et professionnelle, la poésie a toute sa place

La poésie ne peut se contenter d’une semaine de la langue ou d’un Printemps des poètes pour acquérir ses lettres de noblesse dans l’univers de l’animation, elle mérite mieux et simplement la même place que toutes les autres activités proposées. Elle doit se donner à voir, se donner à dire, se donner à entendre. Et retentir comme un opéra de santal dans la fosse des Mariannes de l’animation. Mais une autre interrogation ne manque pas d’avancer son point : la poésie est-ce toujours de l’intime ? Sans doute peut-elle s’en passer ouvertement et au grand jour mais il est toujours là dans un filigrane presque invisible, imperceptiblement. Poètes de tous les accueils collectifs et de tous âges, unissez-vous.


Issu des Cahiers de l'Animation Vacances Loisirs - n°102 - Avril 2018